Ci-dessous, une anthologie de 13 poèmes de Marie Noël publiés dans les recueils Les Chansons et les Heures et Le Rosaire des joies.
1/ « Connais-moi » (p. 41)
2/ « Chant de rouge-gorge » (p. 63)
3/ « Cherche ta place » (p. 65)
4/ « L’Épouvante » (p. 76)
5/ « Fantaisie à plusieurs voix » : I. Prélude (p. 79)
6/ « Les Compagnons » (p. 111)
7/ « Prière du poète » (p. 114)
8/ « À Laudes » (p. 125)
9/ « À Tierce » (p. 129)
10/ « À
None » (p. 136)
11/ « Vision », III (p. 153)
12/ « Chandeleur » (p. 193)
13/ « Les Enfants du temple » (p. 197)
1/ « Connais-moi » (extraits choisis)
Connais-moi si tu peux, ô passant, connais-moi !
Je suis ce que tu crois et suis tout le
contraire :
La poussière sans nom que ton pied foule à terre
Et l'étoile sans nom qui peut guider ta foi.
Je suis et ne suis pas telle qu'en apparence :
Calme comme un grand lac où reposent les cieux,
Si calme qu'en plongeant tout au fond de mes yeux,
Tu te verras en leur fidèle transparence...
– Si calme, ô voyageur... Et si folle pourtant !
Flamme errante, fétu, petite feuille morte
Qui court, danse, tournoie et que la vie emporte
Je ne sais où mêlée aux vains chemins du vent. –
Sauvage, repliée en ma blancheur craintive
Comme un cygne qui sort d'une île sur les eaux,
Un jour, et lentement à travers les roseaux
S'éloigne sans jamais approcher de la rive...
– Si doucement hardie, ô voyageur, pourtant !
Un confiant moineau qui vient se laisser prendre
Et dont tu sens, les doigts serrés pour mieux l'entendre,
Tout entier dans ta main le cœur chaud et battant. – […]
Chèvre, tête
indomptée, ô passant, si rétive
Que nul n'osera mettre un collier à son cou,
Que nul ne fermera sur elle son verrou,
Que nul hormis la mort ne la fera captive...
Et qui se donnera tout entière pour rien,
Pour l'amour de servir l'amour qui la dédaigne,
D'avoir un pauvre cœur qui mendie et qui craigne
Et de suivre partout son maître comme un chien...
Connais-moi !
Connais-moi ! Ce que j'ai dit, le suis-je ?
Ce que j'ai dit est faux – Et pourtant
c'était vrai ! –
L'air que j'ai dans le cœur est-il triste ou bien gai ?
Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu ?... Le puis-je ?...
Quand ma mère
vanterait
À toi son voisin, son hôte,
Mes cent vertus à voix haute
Sans vergogne, sans arrêt ;
Quand mon vieux curé qui baisse
Te raconterait tout bas
Ce que j'ai dit à confesse...
Tu ne me connaîtras pas.
Ô passant, quand
tu verrais
Tous mes pleurs et tout mon rire,
Quand j'oserais tout te dire
Et quand tu m'écouterais,
Quand tu suivrais à mesure
Tous mes gestes, tous mes pas,
Par le trou de la serrure...
Tu ne me connaîtras pas !
Et quand passera
mon âme
Devant ton âme un moment
Éclairée à la grand-flamme
Du suprême jugement,
Et quand Dieu comme un poème
La lira toute aux élus,
Tu ne sauras pas lors même
Ce qu'en ce monde je fus...
................................................................................
Tu le sauras si rien qu'un seul instant tu m'aimes !
2/ « Chant de rouge-gorge »
Au mois de mai
j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour, sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
J’allais, j’allais. Où trouver de l’amour ?
Au bas de la côte, au faîte, derrière ?
Au fond du bois, au bout de la rivière ?
Ici, là-bas, à ce prochain détour ?...
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l’été, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Quand je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une avance ;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense…
Il n’est tombé qu’une goutte dedans…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Est-ce là tout, cette
goutte, est-ce tout ?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Est-ce bien tout ?... Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
3/ « Cherche ta place » (extraits choisis)
Je m'en vais cheminant, cheminant, dans ce monde,
Chaque jour je franchis un nouvel horizon.
Je cherche
pour m'asseoir le seuil de ma maison
Et mes frères
et sœurs pour entrer dans leur ronde.
Mais las ! J'ai beau descendre et monter les chemins,
Nul toit
rêveur ne m'a reconnue au passage,
Et les gens que j'ai vus ont surpris mon
visage
Sans s'arrêter, sourire et me tendre les
mains.
Va plus loin, va-t-en
! Qui te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
J'ai vu sauter dans l'herbe
et rire au nez du vent
Des filles pleines d'aise et de force divine
Qui partaient, le soleil sur l'épaule, en
avant,
L'air large des pays en fleurs dans la
poitrine...
Ah ! pauvre corps frileux
même sous le soleil
Qui sans te ranimer te surcharge et te
blesse.
Toi qu'un insecte effraie, ô craintive
faiblesse,
Honteuse d'être pâle et d'avoir tant sommeil.
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
Ainsi qu’à la Saint-Jean les
roses de jardin,
Fleurs doubles dont le cœur n’est plus qu’une corolle,
J’ai regardé fleurir autour de leur festin
Les reines, les beautés qu’on aime d’amour folle.
Las ! je t’ai vue
aussi, toi, gauche laideron,
Mal faite, mal vêtue, âme que son corps gêne,
Herbe sans fleur que le vent sèche avec sa graine,
Et que ne goûterait pas même un puceron…
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place... […]
D’autres, fermes d’esprit,
têtes pleines de mots,
Connaissent tout : les dieux, les pays, leur langage,
Les causes, les effets, les remèdes, les maux,
Les mondes et leurs lois, les temps et leur ouvrage…
Tête qui fuis, et tel un
grès à filtrer l’eau.
Laisse les mots se perdre à travers ta cervelle,
Ignorante qui crois que la terre est nouvelle
Tous les matins, et tous les soirs le ciel nouveau,
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
D’autres ont pris leur rêve au piège et l’ont tout vif
Enfermé malgré lui dans leur strophe sonore
D’airain vaste, d’or calme ou de cristal plaintif,
Et l’applaudissement des hommes les honore…
Mais toi ! Tes rêves, comme un vol de moucherons,
T’étourdissent, dansant autour de tes prunelles,
Et ta main d’écolier trop lente pour leurs ailes
Sans en saisir un seul s’égare dans leurs ronds.
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
D’autres, se retirant à
l’ombre de leurs cils,
Patients, cherchent la vermine de leur âme
Et pèsent dans l’angoisse avec des poids subtils
Son ombre et sa clarté, sa froidure et sa flamme.
Mais toi qui cours à Dieu comme un petit enfant,
Sans réfléchir, toi qui n’as pas d’autre science
Que d’aimer, que d’aimer et d’avoir confiance
Et de te jeter toute en ses bras qu’Il te tend,
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
Sans beauté ni savoir, sans force ni vertu,
Être qui par hasard ne ressemble à personne,
Je sais bien qui je suis, l’amour ne m’est pas dû
Et ne pas le trouver n’a plus rien qui m’étonne.
Mais malgré moi j’ai
mal… De l’hiver à l’hiver,
Je m’en vais et partout je me sens plus lointaine,
Seule, seule, et le cœur qu’en silence je traîne
Me semble un poids trop lourd, sombre, inutile, amer…
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
Bah ! c’est au même lieu que les chemins divers
Aboutissent enfin, le mien comme les vôtres.
Bonne à rien que le sort conduisit de
travers,
Je ferai mon squelette aussi bien que les autres.
Mais où me mettrez-vous, mon Dieu ?... Pas en
enfer ;
Je n’eus pas dans le mal assez de savoir-faire.
Et pas au paradis : je n’ai rien pour vous plaire…
Hélas ! me direz-vous comme le monde hier :
Va plus loin, va-t'en ! Qui
te connaît ? Passe !
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta
place...
N’aurai-je au dernier
jour ni feu, ni lieu, ni toit
Où reposer enfin ma longue lassitude ?
Où m’enfermerez-vous – hélas ! que
j’aurai froid ! –
Dans une lune vide avec ma solitude ?...
Mais à quoi bon, Seigneur, chercher la fin de tout ?
Vous arrangerez bien ceci sans que j’y songe.
Je m’en vais, mon chemin dénudé se prolonge…
Vous êtes quelque part pour m’arrêter au bout.
4/ « L’Épouvante »
Bon appétit, cher
vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir,
demain ?
Une chose longue et toujours
pareille.
Nos jours sur nos
jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de
la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus
bouger.
Un soir, ainsi,
la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets
familiers,
J’aurai le cœur plein de brusque
surprise.
Je chercherai
longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir
pourquoi.
J’essayerai d’y
voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Notre passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.
Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le cœur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
– Mère, laissez-moi, je ne veux plus
rien. –
Mère, toi, mère à
ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.
Ô père, un soir,
comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant
vous mangez.
Vous irez errants parmi des ténèbres
– Je ne sais pas quelles ténèbres, – dans un trou,
– Je ne sais pas lequel… – Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes
funèbres.
Et vous
mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai
heurtés).
Êtes-vous
là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout
cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?
Ah !
sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite,
cachons-nous bien !
Que n’est-il un lieu sûr, secret des
hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous
sommes.
Petite minute
obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans
amour ;
Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la
bouche ;
Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en
paix !
5/ « Fantaisie à plusieurs voix » : I. Prélude (extraits choisis)
Mes vers, venez, mes
vers, amusons-nous ensemble.
Vous êtes pour moi seule et nous avons congé.
C’est moi qui vous le dis. Je suppose que j’ai
Le droit de vous le dire un peu si bon me semble. […]
Mes vers, laissons
dehors ces gens-là. Je veux rire
Et chanter et pleurer pêle-mêle avec vous.
Écoutez-moi, répondez-moi, poursuivons-nous
Comme de chers enfants pleins d’amour à se dire.
Je suis tellement seule… Ah ! mes vers, je sais bien
Que le Destin qui sert tant de gens à la ronde
Ne peut pas donner du bonheur à tout le monde…
Quand j’arrivai, sans doute, il ne lui restait plus rien. […]
Et j’ai beau m’y fier, nul espoir à présent,
Parmi tant de tendresse enfin désabusée
N’est assez fort, le soir, quand ma force est usée,
Pour soulever de dessus moi le temps pesant.
Je suis toute petite et n’ai pas de grand’mère
Qui m’encourage au seuil des heures quand j’ai peur
Et de ses vieilles mains ramène sur mon cœur
Le duvet tremblotant d’une pauvre chimère ;
Pas une guérisseuse au chant calme, un ami,
Un seul dont les pas clairs rassurent ma nuit sombre ;
Pas un cœur sûr, profond comme un berceau dans l’ombre
Où laisser le fol mien tomber tout endormi ; […]
Ô mes vers que voilà
si plaintifs et si doux,
Puisque le Créateur ne m’a pas fait de joie,
Venez, vous que du moins à mon aide il envoie,
Je me veux inventer un bonheur avec vous. […]
Venez !... Vous, vous serez, vous gais, vous ingénus
Qui ne prévoyez rien, les petits camarades
Qui bousculent un beau matin mes pensers fades
Pour courir au soleil le front et les pieds nus. […]
Venez !... Vous, vous serez l’enfant sur mes genoux
Que j’allaite en secret, que je berce en cachette,
Et vous… oh ! vous !... l’époux en qui mon cœur se jette…
- Peut-être un plus réel n’est-il pas aussi doux ? […]
Venez !... Soyez-moi tous mes amis ! Mon cœur cède
Au poids de sa tendresse. Avant qu’il soit perdu,
Venez, recueillez-le, vite, mes vers, à l’aide !
Il se rompt. Comme un fruit trop mûr il s’est fendu.
Entourez-moi… J’avais
dans l’âme une fontaine
Que je ne peux plus contenir. Sa douce voix
A roulé sur la mousse en fleur, son eau lointaine
A caressé la violette au fond des bois ;
Les ailes des oiseaux y bougent, l’ombre y passe,
Puis le soleil, puis l’ombre ; elle emporte les cieux,
Tantôt pleine du bleu sans bornes de l’espace,
Tantôt du brusque noir d’un nuage anxieux ;
Elle fuit… Les ramiers qui s’envolent par couples
Y laissèrent ce soir tomber un duvet
doux.
Entourez-moi, mes vers, tendez-moi vos mains souples
Et je la répandrai toute vive sur vous.
Vous retiendrez le bond de mes sources intimes
Encor mouvant dans vos paumes aux bords étroits
Et laisserez couler mon cœur entre vos
rimes
Comme de l’eau courante et pure entre les doigts.
6/ « Les Compagnons » (extraits choisis)
J’ai regardé pousser le Printemps de ma porte…
J’avais le soleil tendre à mes pieds, sur mes mains,
Et dans les yeux au loin l’espace et les chemins
Montant au ciel avec tous les champs pour escorte.
Et dans le cœur j’avais la brise et les oiseaux.
Tous m’ont dit : « Il est temps, ma petite âme, écoute,
Écoute dans le vent, dans le sol de la route,
Les pas du fiancé qui vient des bois nouveaux. […]
« Mais si tu
n’entends rien que le souffle du jour,
Nous sommes là, le ciel, les champs, l’herbe qui lève
Et nous te retiendrons prise dans notre rêve…
Tu ne dois pas nous fuir pour d’autres que l’amour. » […]
Ah ! mauvais compagnons aux caresses d’aïeule,
Printemps, Brise, Soleil, las ! que m’avez-vous dit ?
Vos perfides conseils m’ont égaré l’esprit
Et me voilà perdue, et vous me laissez seule !
Alors le Vent m’a dit : « Je suis là ! Je
suis là !
Et c’est pour toi mon chant, pour toi, ma petite âme ,
Ce chant passionné si doux que nulle femme
N’eut le cœur mieux bercé quand l’amour lui parla. »
« Je suis là ! je suis là ! m’a répété la
Pluie,
Gai ! mes petits doigts gais frappent à ton carreau. […]
Mes pauvres compagnons, comprenez mieux ma peine,
Dormir ? J’ai travaillé du matin jusqu’au soir.
Ma quenouille est au bout de sa laine, il fait noir
Et ma maison devrait de mon œuvre être pleine. […]
La bête a dans son trou des petits à défendre.
Et moi seule je suis telle que le désert
Vide, brûlant, sans route, à tous les vents ouverts,
Qui n’a jamais produit que nuages, que cendre.
Alors le Ciel m’a
dit : « Les nuages s’en vont
Sans savoir où, transis, vagabonds, solitaires,
Mais ils font en pleurant germer en bas les terres
Et colorent les fleurs que les rosiers auront. »
7/ « Prière du poète » (extraits choisis)
Donne de quoi chanter
à moi pauvre poète
Pour les gens pressés qui vont, viennent, vont
Et qui n’ont pas le temps d’entendre dans leur tête
Les airs que la vie et la mort y font. […]
J’ai vu les morts passer et s’en aller en terre,
Leur glas au cou, lamentable troupeau,
Et leurs yeux dans mes yeux ont fixé
leur mystère.
J’ai su depuis la chanson du tombeau…
Mais si tu veux mon Dieu que pour d’autres je dise
La chanson du bonheur, la plus belle chanson,
Comment ferai-je moi qui ne l’ai pas apprise ?
Je n’en inventerai que la contrefaçon.
Donne-moi du bonheur,
s’il faut que je le chante,
De quoi juste entrevoir ce que chacun en sait,
Juste de quoi rendre ma voix assez touchante,
Rien qu’un peu, presque rien, pour
savoir ce que c’est.
Un peu – si peu – ce qui demeure d’or en poudre
Ou de fleur de farine au bout du petit doigt,
Rien, pas même de quoi remplir mon dé à coudre…
Pourtant de quoi remplir le monde par surcroît.
Car pour moi, qui n’en ai jamais l’habitude,
Un semblant de bonheur au bonheur est pareil,
Sa trace au loin éclairera ma solitude,
Et je prendrai son ombre en moi pour le soleil.
Donne-m’en ! Ce
n’est pas, mon Dieu, pour être heureuse
Que je demande ainsi de la joie à goûter,
C’est que, pour bercer l’homme en la cité nombreuse,
La nourrice qu’il faut doit savoir tout chanter.
Prête-m’en… Ne crains rien, à l’heure de le rendre,
Mes mains pour le garder ne le serreront pas,
Et je te laisserai, Seigneur, me le reprendre
Demain, ce soir, tout de suite, quand tu voudras… […]
Donne de quoi chanter à
moi pauvre poète,
Ton petit oiseau plus fou que savant
Qui ne découvre rien de nouveau dans sa tête
Si dans son cœur tu ne l’as mis avant.
Vous qui passez par là, si vous voulez que j’ose
Vous rapporter du ciel la plus belle chanson,
Douce comme un duvet, rose comme la rose,
Gaie au soleil comme un jour de moisson,
Si vous voulez que je la trouve toute faite,
Vite, aimez-moi, vous tous, aimez-moi bien
Avant que mon cœur las d’attendre un peu de fête
Ne soit un vieux cœur, un cœur bon à rien.
Aimez-moi, hâtez-vous… J’entends le temps qui passe…
Le temps passera… le temps est passé…
Bientôt fétu qui sèche et que nul ne ramasse
Mon cœur roulera par le vent poussé,
Sans voix, sans cœur, avec les feuilles dans l’espace.
8/ « À Laudes » (extraits choisis)
Seigneur, soyez béni
pour le soleil ! Soyez
Béni pour le matin qui rit dans les foins roses, […]
Tinte clair !
Tinte gai ! Sonne le beau matin !
Je m’en vais dire une grand’messe en la campagne.
Un coquelicot neuf sera mon sacristain,
L’enfant de chœur mal défripé qui m’accompagne,
Et j’aurai pour calice un lis de la
montagne.
Mes chers frères, offrez vos œuvres au Bon Dieu.
Toi l’abeille ton miel, toi le buisson tes baies,
Toi ruisselet tes eaux, toi chèvre ton lait bleu,
Toi brebis ta toison qui fait l’aumône aux haies,
Toi mauve ton sommeil pour endormir les plaies.
Et vous les
fainéants, cigales, papillons,
Oisillons qui musez sans même chercher proie
Et moi-même, pécheur qui nous éparpillons
En tirelis, nous, bons à rien, que nul n’emploie,
Offrons notre chanson légère et notre joie.
9/ « À Tierce » (extraits choisis)
Combien, ô Vérité,
m’es-tu nouvelle et fraîche,
Révélée à mes os sans livre, sans écrit,
Sans raison qui démontre et sans bouche qui prêche,
D’un seul baiser qui me dévore tout l’esprit !...
Je vois… Mon cœur jaillit ! qui pourra l’en empêche !
Rien n’est vrai que
d’aimer… Mon âme, épuise-toi,
Coule du puits sans fond que Jésus te révèle,
Comme un flot que toujours sa source renouvelle,
Et déborde, poussée en tous sens hors de moi.
Quels usages prudents
te serviront de digue ?
Donne tout ! Donne plus et sans savoir combien.
Ne crains pas de manquer d’amour, ne garde rien
Dans tes mains follement ouvertes de prodigue.
Qu’aimeras-tu ?
Quel temps perdrons-nous à ce choix ?
Aime tout ! Tout t’est bon. Sois aveugle, mais aime !
Le plus près, le plus loin, chacun plus que toi-même
Et, comment ce miracle, ô Dieu ? tous à la fois.
Celui qui t’est
pareil, celui qui t’est contraire.
Et n’aime rien uniquement pour sa beauté :
L’enchantement
des yeux leur est trop vite ôté,
Du charme d’aujourd’hui demain te vient distraire.
N’aime rien pour
ses pleurs : les larmes n’ont qu’un jour,
N’aime rien pour son chant : les hymnes n’ont qu’une heure.
Ô mon âme qui veux que ton amour demeure !
Aime tout ce qui fuit pour l’amour de l’amour.
Aime tout ce qui
fuit sur la terre où tu passes,
Le long de ton chemin aveugle et sans arrêts :
Les herbes des fossés, les bêtes des forêts,
Les matins et les soirs, les pays, les espaces.
Aime, l’enthousiasme est fort comme la mer
Qui d’un seul mouvement emporte les navires.
Laisse aller tes destins au fil de ses délires
Sans goûter si le flot qui te pousse est amer. […]
Donne-toi tellement que tu n’existes plus
Et que dans ton secret, ton silence, ton ombre,
Rien ne bruisse plus qu’autrui ce cœur sans nombre,
Son mal, sa fièvre, au lieu de ton cœur superflu. […]
Qui pourra maintenant retrouver ta douleur ?
Rien n’en reste, rien, rien qu’un chant d’oiseau sublime.
Ah ! quelle délivrance est au fond de l’abîme !
Voici ma joie avec son glaive de vainqueur. […]
Rien n’est vrai
que d’aimer et que d’aimer toujours !
Tes aimés passeront mais ton amour demeure
Malgré les renouveaux qui te changent de leurre
Et les petites morts des petites amours.
Et tant qu’il y aura des vivants, d’heure en heure
Menant leur sort à la rencontre de ton sort
Ou t’ayant devancée au-delà de la mort…
Toi-même disparais mais ton amour demeure !
Mon amour ! Mon amour ! quand ce cœur arrêté
Ne te contiendra plus… à ta source première,
À
Jésus remontant d’un grand jet de lumière,
Mon amour sois mon Dieu toute l’éternité !
10/ « À None »
Le chemin plat et gris où pousse une herbe rase
Traîne indéfiniment deux ornières de vase…
C’est un chemin d’automne avec de hauts chardons.
Et le Pâtre y conduit son troupeau de moutons
Nombreux, sales, serrés, avec le nez en terre.
Ce leur est un chemin d’autant plus salutaire
Qu’il va tout droit en plaine à l’opposé des bois
Où l’on dit qu’en hiver le loup rôde parfois.
Ici, des chaumes secs, et là, des palissades,
Par un vent aigre et sous un ciel des plus maussades.
C’est un très bon chemin correct et sans
danger.
Quand on y est, on y trouve de quoi manger
Et les moutons – l’air de moudre une
patenôtre –
S’en vont par là broutant dans les pas l’un de l’autre.
Moi, la chèvre, je
suis le surplus du troupeau
Et je m’ennuie avec des gens de tout repos
Qui font tout bonnement tous une même chose.
Je m’ennuie à mourir sur ce chemin
morose.
Je n’aime pas – j’en ai le cerveau courbatu –
Marcher en foule ainsi sur un terrain battu ;
Je n’aime pas brouter l’herbe déjà tondue,
Ce petit foin sans goût, sans fleur inattendue…
Rien de nouveau, rien, rien… Tout est toujours pareil.
Pas même, pour changer, de l’ombre et du soleil,
Pas un obstacle au loin sur la campagne glabre,
Qu’on devine et qui fait que d’avance on se cabre…
Aussi, dès que le Pâtre en son grand manteau bleu
Rempli de vent cherche l’espace et rêve un peu,
Je m’échappe, je cours à travers la
campagne,
Je bondis pour trouver quelque peu de montagne,
Je grimpe à des talus très hauts de chemins creux.
On est très bien tout seul, sans
moutons, si loin d’eux
Qu’ils semblent tout au fond du val des
pierres grises.
Les thyms inviolés ont des saveurs exquises…
Là, je m’empêtre en la broussaille qui sent bon,
Avec la viorne, avec la ronce, vrai crampon.
Un brin d’eau luit au creux et quelque pierre fraîche
Et voilà que j’ai soif tout d’un coup… je la lèche,
Je cours, je broute ici, puis là… je
perds du temps,
Je hume l’odeur froide et sauvage des vents ;
Je ne fais point de mal, mais je fais à
ma tête.
C’est juste assez pour se sentir le cœur en fête
Et j’ai tout oublié, les brebis et les loups
Et le Pâtre qui rêve avec des yeux si doux.
Mais lui, le pauvre gas, ne m’a pas oubliée.
Il me croit lasse et par derrière humiliée.
Pour me rendre courage il fait des sifflets doux,
Il m’interpelle avec de petits noms à nous…
Je l’entends, mais voilà qu’il me reste
une touffe
De thym, encore une autre… Et puis en bas j’étouffe
Et je ne descendrai qu’avec l’ombre du soir
Quand les autres en file iront à l’abreuvoir,
Plus tard… un peu plus tard… pas encor tout à l’heure…
Lui m’appelle, m’appelle avec sa voix qui pleure
Et vraiment je voudrais n’avoir pas entendu,
J’en ai le cœur en amertume tout fondu…
Puis tout à coup las d’appeler, las de m’attendre,
Il a tout laissé là ! – Que le loup vienne prendre,
S’il veut, tous ces moutons dociles, les voilà ! –
Il monte à travers champs – il a tout laissé là ! –
Par les mauvais sentiers, les ronces, les broussailles,
Il se fait mal, il a les pieds nus… Des pierrailles
Le blessent jusqu’au sang mais il monte toujours,
Il approche, il me voit. Pour tant de méchants tours,
J’endurerai ce qu’il voudra de juste gaules.
Mais il me prend, il m’emporte sur ses épaules
Puis le voilà qui me dorlote avec des mots
Dont un seul suffirait à guérir tous les maux.
Et je suis triste et si honteuse de ses peines
Que je n’ose plus voir – oh ! mes lourdes fredaines ! –
Sa face pâle et ses mélancoliques yeux,
Et plus ouïr ce ton miséricordieux.
Mais tandis qu’il me porte, en secret je me serre
Sur son cou las un peu plus qu’il n’est nécessaire
Pour mêler une larme à sa pauvre sueur…
De nouveau le chemin plus morne où sans lueur
Comme un brusque rideau tombe le soir d’automne.
Toujours broutant, serrés, leur herbe monotone,
Les moutons du troupeau n’ont pas du tout bougé.
– Quand sauront-ils vraiment s’ils ont assez mangé ? –
Moi, je les suis, n’ayant plus faim, baissant la tête
Et le pis est – avouons-le pour être
honnête –
Qu’un jour, c’est sûr, hélas ! ce peut être demain,
Je laisserai comme aujourd’hui ce droit chemin
Qui jusqu’en mon remords se traîne et
m’exaspère
Et mon trop faible cœur déjà s’en désespère.
Mais ô divin Pasteur si demain je m’en vais
Poussée à tous hasards d’un caprice mauvais
Seule ingrate au milieu de ces bêtes fidèles,
Ô Maître, malgré tout, ô Maître, aucune d’elles
– Et vous qui savez tout certes le savez bien,
Vous que je navre et qui ne m’en voulez de rien –
De ces brebis suivant la route au clair de lune,
Pas une autant que moi, l’indocile, pas une
Ne sait ô cher Berger combien vous êtes bon.
Et simplement je me fie à votre pardon,
Moi rebelle, têtue et bien toujours la
même,
Incorrigible, hélas ! hélas ! mais qui vous aime !
11/ « Vision », III (extraits choisis)
Elle a suivi le vent à travers la nature
En chantant sa chanson.
Au vent elle a semé sa graine à l’aventure.
Quelle fut sa moisson ?
Au lieu de ramasser péniblement sa gerbe,
Pas à pas, grain par grain,
Elle a laissé sans soin pousser sa
mauvaise herbe
Et son cœur en est plein.
Elle a passé ses
beaux matins à ne rien faire,
Et ses soirs à rêver,
Comme si nous n’avions Seigneur pas d’autre faire
Et pas d’âme à sauver.
Elle a mangé son
saoul, dormi tout à son aise,
Usé son superflu ;
Sans règle qui l’arrête et sans joug qui lui pèse,
Elle a ri, chanté, lu.
Elle s’en est allée aimant tout au passage ;
Aujourd’hui le beau temps,
Demain la pluie, un jour la chambre étroite et sage,
Un jour les quatre vents ;
Un jour les gens de bien, les maîtres véridiques,
Les héros et les saints ;
Un jour les têtes à l’envers, les hérétiques,
Les fous, les assassins ;
Aujourd’hui le silence, aujourd’hui la parole ;
Aujourd’hui la raison ;
La chimère, aujourd’hui, comme une souris folle
Qui trotte en la maison ;
[…]
Et quelquefois aussi Toi Seigneur… Dans cette âme
Gaspilleuse d’amour,
Tu passas comme un autre, un caprice de femme
Te l’ouvrit à ton tour. […]
Tu savais qu’à son
cœur tantôt fier, indocile,
Et tantôt abattu,
Tu savais trop combien il était difficile
D’atteindre la vertu.
Et tu la pris sur ton épaule, comme un homme
Soulève son petit
Pour qu’au pommier trop haut il attrape la pomme
Que Septembre y pendit…
Tu l’as portée en vain. Au
rameau qui s’abaisse
Qu’a-t-elle su saisir ?
Des feuilles, pas un fruit, nulle œuvre, sa mollesse
S’en tenant au désir.
12/ « Chandeleur »
Les gens et leur destin
S’en vont tenant un cierge,
Les gens et leur destin
Dans le petit matin,
S’en vont menant dehors
La flamme dans la cire,
S’en vont menant dehors
Leur âme dans leur corps.
Les gens du genre humain,
– Où commence la route ? –
Les gens du genre humain
Tournent sur le chemin.
Tournent autour de Dieu,
Leur chandelle allumée,
Tournent autour de Dieu
Qui regarde au milieu.
La mère va devant
Avec son sacrifice,
La mère va devant
Qui présente l’enfant.
Elle apporte le fruit
De sa chair matinale,
Elle apporte le fruit
De sa douleur de nuit.
Le père a dans la main
Le poids de son offrande,
Le père a dans la main
Le prix d’un peu de pain.
La vieille qui n’a rien
Que le petit des autres,
La vieille qui n’a rien
Le leur prend et le tient.
Le vieux las et branlant
Dont le pas s’ensommeille,
Le vieux las et branlant
L’accompagne en tremblant.
À Dieu qui ne peut pas
Sans l’homme faire d’homme,
À Dieu qui ne peut pas,
Ils portent dans leurs bras
Le sang qu’ils ont donné,
L’œuvre de leur poussière,
Le sang qu’ils ont donné,
Le fils qui leur est né.
Portent l’enfant en
fleur
Qui sera courte joie,
Portent l’enfant en fleur
Qui sera grand’douleur.
L’enfant qu’il faut nourrir
Pour le conduire vivre,
L’enfant qu’il faut nourrir
Pour le mener mourir.
Les gens sur le chemin
– Le jour y voit à peine –
Les gens sur le chemin
Tournent, le cierge en main,
Et lentement s’en
vont
À Dieu – La flamme tremble –
Et lentement s’en vont
À Dieu. La cire fond.
Ils passent devant Lui
– Un cierge, puis un cierge –
Ils passent devant Lui
Tout le long d’aujourd’hui.
Et Dieu, prêtre éternel
De la cérémonie,
Et Dieu, prêtre éternel
Qui descend de l’autel,
Leur reprenant des mains
La flamme avec la cire,
Leur reprenant des mains
Leurs cierges pour demain.
Dieu, dans le faible
jour,
Par le vent de sa bouche,
Dieu, dans le faible jour,
Les éteint tour à tour.
Et nul ne sait plus
où,
Quand Dieu les a soufflées,
Et nul sait plus où
Les âmes sont allées.
13/ « Les Enfants du temple »
Je fuis quand Dieu qui se penche au bord
M’allait semer des ailes dans l’âme.
Et quand à lui je reviendrai mort
Plus n’entendrai de Lui que son blâme :
« Je t’ai cherché, je ne t’ai pas trouvé.
L’oiseau que j’avais pour toi s’est sauvé. »
– Ah ! répondrai-je, ah ! saviez-vous pas,
Père des cieux, que j’avais à faire
L’œuvre des miens qui sont ici-bas ?
À travailler au champ de mon père ?
À servir ma mère, à prêter mon dos
Au bois qui la charge, à tous ses fardeaux ?
Voyiez-vous pas mon sentier ? Pourtant
Vous me tiriez par le cœur dans l’ombre.
Je vous suivais… Mais au même instant
Ma sœur pleurait, pâle en son lit sombre ;
Mon frère est tombé… Pouvais-je, mon
Dieu,
Les laisser là seuls dans leur pauvre lieu ?
Ceux qui m’ont là
pour s’aider de moi
Quand vient le mal – et le bien de
même –
Ceux qui m’ont là pour s’ôter l’effroi
Quand vient le noir où l’ennemi sème,
Père, ceux à qui vous m’avez donné,
Pouvais-je en chantant les abandonner ?
Pouvais-je, ceux que vous avez mis
Pour enfermer mon âme à la ronde
Et l’empêcher de voler parmi
Vos pays d’ange au-dessus du monde,
Pouvais-je, ô Dieu, comme un saint, comme un roi,
Les repousser ? Ayez pitié de moi,
Je n’ai pas pu. Je suis resté pris
Entre leurs maux comme dans la trame
De l’araignée un moucheron gris…
Are you alive, man?
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