Quatrième de couverture (tirée d'une édition anglaise) :
The Posthumous Papers
of the Pickwick Club (also known as The
Pickwick Papers) is Charles Dickens's first novel. He was asked to
contribute to the project as an up-and-coming writer following the success of
Sketches by Boz, published in 1836 (most of Dickens' novels were issued in
shilling instalments before being published as complete volumes). Dickens
(still writing under the pseudonym of Boz) increasingly took over the
unsuccessful monthly publication after the original illustrator Robert Seymour
had committed suicide. With the introduction of Sam Weller in chapter 10, the
book became the first real publishing phenomenon, with bootleg copies,
theatrical performances, Sam Weller joke books, and other merchandise. After
the publication, the widow of Robert Seymour claimed that the idea for the
novel was originally her husband's ; however, in his preface to the 1867
edition, Dickens strenuously denied any specific input, writing that "Mr
Seymour never originated or suggested an incident, a phrase, or a word, to be
found in the book."
'One of my life's greatest tragedies is to have already read
Pickwick Papers - I can't go back and
read it for the first time' (Fernando Pessoa)
Few first novels have created as much popular excitement as The Pickwick Papers - a comic
masterpiece that catapulted its twenty-four-year-old author to immediate fame.
Readers were captivated by the adventures of the poet Snodgrass, the lover
Tupman, the sportsman Winkle and, above all, by that quintessentially English
Quixote, Mr Pickwick, and his cockney Sancho Panza, Sam Weller. From the
hallowed turf of Dingley Dell Cricket Club to the unholy fracas of the
Eatanswill election, via the Fleet debtors' prison, characters and incidents
spring to life from Dickens's pen, to form an enduringly popular work of
ebullient humour and literary invention. This edition is based on the first
volume edition of 1837, and includes the original illustrations. In his
introduction, Mark Wormald discusses the genesis of The Pickwick Papers and the emergence of its central characters.
Malgré la longueur considérable de ses romans (David Copperfield fait plus de mille
pages en Livre de Poche ; La Maison
d’Âpre-vent et le présent livre entre 900 et 1000 en édition Pléiade, la
seule par ailleurs existante…), Dickens est résolument un des auteurs les plus
faciles à lire à mon avis. Parmi les grands auteurs les plus aisément
accessibles, je conseillerais Dickens avec Tolstoï (en particulier Anna Karénine) et Cervantès (le Quichotte dans la traduction d’Aline
Schulman aux éditions Points) pour ceux voulant s’initier aux
« pavés classiques » qui sont dans le même temps extrêmement
aisés à lire. Fielding rentre également dans cette catégorie mais il est
beaucoup moins (et injustement) connu ici en France. Ces auteurs ont la
particularité d’être des auteurs populaires, qui eurent un immense succès à
leur époque, et qui je trouve n’ont pas vieilli du tout, en tout cas si nous
les lisons dans des traductions de qualité, alliant de manière déconcertante simplicité et
fluidité du récit sans en exclure toutefois la profondeur. J’ai remarqué par
ailleurs à quel point les styles de Dickens et de Tolstoï (le russe d’ailleurs
adorait Dickens et le relisait constamment) sont en fin de compte assez
similaires : les deux écrivains se distinguent dans leur style par un même
souci accordé aux détails (souvent même unique) sans cesse rappelés lorsqu’un
personnage refait une apparition ultérieure dans le récit, permettant ainsi de
l’identifier, par leur répétition, de manière quasi instantanée, et créant dans
le même temps cette proximité, cette familiarité du lecteur avec les personnages,
proximité indispensable pour capter et retenir l’attention de ce dernier au
récit qu’il lit. Nabokov adorait cette attention scrupuleuse au détail et lorsqu’il
dit que dans Anna Karénine, Tolstoï
atteint le « comble de la perfection créatrice », c’est par ces
détails artistiques qui abondent dans le récit et qui rend si vivants ses
personnages.
Pour
revenir sur le roman qui nous intéresse, Pickwick
est, comme les autres livres du romancier, un livre là aussi extrêmement aisé à
lire, et bien qu’il ne soit pas le meilleur Dickens (qui sont pour moi (parmi
ceux que j’ai lus) David Copperfield
et La Maison d’Âpre-vent), c’est en
revanche celui qui est le plus drôle, divertissant, aux innombrables situations
irrésistiblement drôles et rocambolesques. La publication en feuilleton (comme
tous ses romans) explique en partie la structure un peu décousue du roman, qui
se présente comme une suite de péripéties que l’on pourrait, dans presque tous
les cas, interpoler dans leur ordre puisque les protagonistes sont ballotés pour
la plupart du temps au gré du hasard et des rencontres fortuites qu’ils y font.
Des fils conducteurs toutefois sont bel et bien présents, et Pickwick est, malgré ses péripéties
quelque peu indépendantes (et les innombrables récits rapportés totalement
dégagés du récit et des personnages principaux) les unes envers les autres, un
roman d’où une certaine unité se dégage. La poursuite de M. Jingle, l’escroc,
occupera Pickwick durant de nombreux chapitres, de même que son procès absurde
avec son ancienne logeuse, la veuve Mme Bardell, qui le conduira dans une
prison de dettes lorsque Pickwick, davantage par principe que par incapacité
financière, refuse de payer la somme qui lui est intimée. On notera au passage
une dernière influence qu’a eue Dickens, et qui peut paraître plus surprenante,
celle qu’il a eue sur Kafka. L’absurde procès et les « preuves
produites » à l’encontre de M. Pickwick sont d’un ridicule et d’un
grotesque sans pareils, à l'instar de l’interminable procès Jarndyce & Jarndyce dans La Maison d’Âpre-vent est l’exemple le plus frappant du peu
d’estime que portait Dickens envers le monde juridique et dans Pickwick déjà, Dickens se livre à une
critique très acerbe vis-à-vis des employés de ce monde, ne sauvant au passage que le
personnage de M. Perker, l’avoué de Pickwick, tandis que dans une scène très
amusante, au moment où Pickwick rencontre une dernière fois Dodson et Fogg, les
avocats qui ont machiné ce procès contre lui, il ne peut résister, après s’être
contenu, de les insulter :
« - Vous êtes, poursuivit M. Pickwick, reprenant le fil de son discours, vous êtes deux brigands, deux coquins, deux scélérats, deux avoués véreux, et vous faites bien la paire.- Allons, dit Perker intervenant, est-ce fini ?- Tout se ramène à cela, répliqua M. Pickwick ; ce sont des brigands, des coquins, des scélérats, des avoués véreux.- Voilà ! dit Perker sur le ton le plus conciliant. Mon cher monsieur, mon ami vous a dit tout ce qu’il avait à vous dire. Maintenant veuillez partir. Alors, Lowten, cette porte, est-elle ouverte ?M. Lowten, avec un gloussement sourd, répondit affirmativement.
- Voilà, voilà… bonjour… bonjour…, allons, Messieurs, je vous prie… Monsieur Lowten, la porte ! s’écria le petit homme en poussant Dodson et Fogg, sans nulle résistance de leur part, hors de son bureau ; par ici, mes bons Messieurs… allons, je vous en prie, ne prolongeons pas cette scène… ciel… Monsieur Lowten… la porte, Monsieur… Vous ne pouvez pas faire attention à ce qu’on vous dit ?- S’il y a une justice en Angleterre, Monsieur, dit Dodson en jetant un coup d’œil vers M. Pickwick et en mettant son chapeau, vous vous repentirez de vos paroles.- Vous êtes deux coquins…- Rappelez-vous, Monsieur, que cela vous coûtera cher, dit Fogg.- Deux scélérats, deux avoués véreux, deux brigands ! dit M. Pickwick sans tenir le moindre compte des menaces qui lui étaient adressées.- Brigands ! cria M. Pickwick, qui courut au palier, tandis que les deux avoués descendaient.- Brigands ! hurla M. Pickwick, échappant aux mains de Lowten et de Perker, et passant la tête par la fenêtre de l’escalier.Quand M. Pickwick rentra la tête, il avait un visage placide et souriant et, retournant d’un pas tranquille dans le bureau, il déclara qu’il s’était maintenant soulagé l’esprit d’un grand poids et qu’il se sentait parfaitement heureux et à son aise. » (p. 889)
Voici maintenant le passage
magnifiquement absurde dans lequel Me Buzfuz accuse M. Pickwick d’avoir eu une
liaison avec Mme Bardell et d’avoir par la suite rompu une prétendue demande en
mariage, rupture pour laquelle Mme Bardell lui réclame la somme fantaisiste de
1500 livres au titre des souffrances morales qu’elle connût de par ce rejet,
situation née d’un quiproquo dans lequel M. Pickwick, en fait, lui
parlait de l’engagement futur d’un domestique et qui s’avèrera le second
personnage prédominant du roman, et pour beaucoup de lecteurs le plus
charismatique, Samuel Weller :
« Et maintenant, Messieurs, je n’ai qu’un mot à ajouter. Deux lettres ont été échangées entre les deux parties, lettres dont le défendeur a reconnu qu’elles étaient écrites de sa main, et qui, à la vérité, en disent autant que des volumes. D’ailleurs ces lettres trahissent le caractère de l’homme. Ce ne sont pas de ces épîtres loyales, ferventes, éloquentes, où l’on ne respire que le langage d’une tendre affection. Ce sont des messages hypocrites, rusés, sournois, mais heureusement bien plus concluants que s’ils avaient été rédigés dans le style le plus flamboyant, en usant des métaphores les plus poétiques… ce sont des lettres qu’il faut considérer d’un œil averti et méfiant, des lettres manifestement destinées alors, par ce Pickwick, à égarer et induire en erreur tous les tiers entre les mains desquelles elles risquaient de tomber. Permettez-moi de vous lire la première : « Restaurant Garraway, midi. Chère Madame B., Côtelettes à la sauce tomate. Bien à vous, PICKWICK. » Messieurs, que signifient ces mots ? Côtelettes à la sauce tomate ! Bien à vous, Pickwick ! Côtelettes ! Juste ciel ! A la sauce tomate ! Messieurs, a-t-on le droit de jouer avec le bonheur d’une femme sensible et confiante, par des artifices aussi transparents ? La seconde ne porte pas de date, ce qui, de soi, est déjà suspect. « Chère Madame B., je ne rentrerai que demain. Pas de diligence rapide. » Puis vient cette expression extraordinaire : « Ne vous inquiétez pas pour la bassinoire. » La bassinoire ! Voyons, Messieurs, qui s’est jamais inquiété pour une bassinoire ? Quand la paix d’esprit de quiconque, homme ou femme, a-t-elle jamais été mise en péril ou troublée par une bassinoire, qui est en soi un élément inoffensif, utile, et, j’ajouterai, Messieurs, réconfortant de l’équipement ménager ? Pourquoi Mme Bardell est-elle si ardemment implorée de ne pas se mettre en émoi au sujet de cette bassinoire, à moins qu’il ne s’agisse (ce qui est assurément le cas) d’un simple paravent pour désigner un feu secret, un simple terme de remplacement tenant lieu de quelque tendre mot, ou de quelque promesse, conformément à un système de correspondance préétabli, habilement conçu par Pickwick en vue de l’abandon qu’il préméditait, et qu’il m’est impossible d’expliquer ? Et que signifie cette allusion à une diligence rapide ? Autant que je sache, cela peut se rapporter à Pickwick lui-même, qui se comporte sans conteste comme un véhicule d’une criminelle lenteur pendant toute la durée de cette affaire, mais dont l’allure va maintenant se trouver accélérée à l’improviste, et dont les roues, Messieurs, comme il s’en apercevra à ses dépens, vont être très prochainement graissées par vos soins ! » (p. 561-562)
Dickens, avec un grand sens
prémonitoire, anticipe déjà en son temps la possibilité d’accuser un individu,
sur tel ou tel acte de sa vie privée, dont le sens est détourné,
décontextualisé, pour le mettre en accusation en dépit du bon sens. Dickens,
évidemment, comme à son habitude, force au maximum le trait pour nous faire
ressentir le plus intensément possible l’absurdité de la situation et de
l’argumentaire de Me Buzfuz, et Kafka s’en est probablement souvenu dans ce
passage extrait du Procès que j’ai
déjà cité dans le billet qui lui est consacré :
« Cette requête constituait évidemment un travail presque interminable. Sans être d'un caractère inquiet, on pouvait facilement penser qu'il serait impossible de jamais la finir. Non par paresse ou par calcul [...], mais parce que, dans l'ignorance où l'on était de la nature de l'accusation et de tous ses prolongements, il fallait se rappeler sa vie jusque dans ses moindres détails, l'exposer dans tous ses replis, la discuter sous tous ses aspects. Et quel triste travail, pour comble ! Il était peut-être bon pour occuper l'esprit affaibli d'un retraité et l'aider à passer les longs jours. Mais maintenant que K. avait besoin de recueillir toutes ses forces cérébrales pour son travail, que chaque heure passait trop vite [...], maintenant qu'il voulait jouir comme un jeune homme de ses courtes soirées et de ses brèves nuits, c'était maintenant qu'il devait se soumettre à la rédaction de cette requête. »
Nous
avons pu constater à travers ce rapprochement entre Kafka et Dickens que les
accusations de superficialité souvent reprochées à Dickens peuvent certes se
comprendre, mais ne sont toutefois pas justifiées. Dickens est également un
farouche défenseur de la dignité humaine, dans une société où la pauvreté, la
misère, la bigoterie également (en particulier dans l’épisode de la belle-mère
de Sam Weller, assujettie au charlatan Stiggins, au nez rouge, qui fait écho au
foyer des Jellyby dans La Maison
d’Âpre-vent) font des ravages. Orwell ne s’y est pas trompé et le cite
abondamment dans ses essais et s’en inspira grandement dans sa définition du
concept de common decency. Alors
certes, oui, les histoires et récits qui entrecoupent parfois le roman, peuvent
être perçues comme surchargées de sentimentalisme, mais malgré cela, ce qui
prévaut toujours, c’est le style tout en détails, magnifique, de Dickens. Voici
un extrait du premier, parmi beaucoup, de ces récits indépendants, intitulé Le
Conte du comédien errant :
« Jamais je n’oublierai le spectacle repoussant qui s’offrit à mes yeux quand je me retournai. Il était habillé pour la pantomine, et arborait au complet son costume de clown. […] Son corps boursouflé sur ses jambes amaigries (dont la difformité était centuplée par son costume grotesque), ses yeux vitreux, en contraste effarant avec l’épaisse couche de fard qui lui barbouillait la figure ; la tête ainsi grotesquement parée, agitée d’un tremblement convulsif, et les longues mains décharnées, enduites de craie blanche : tout cela donnait un aspect hideux et inhumain, dont nulle description ne saurait donner une idée adéquate et dont la pensée, aujourd’hui encore, me fait frissonner. » (p. 51).Et alors que le narrateur se rend sur son lit de mort, il pressent, toujours par de menus détails, les souffrances qu’endurèrent la femme et le fils du comédien :
« Il était couché sur un vieux lit qu’on pouvait relever contre le mur pendant la journée. Les restes en lambeaux d’un rideau à carreaux étaient tirés autour de la tête du lit pour arrêter le vent, qui pénétrait cependant dans cette pièce incommode par les nombreuses fentes de la porte et faisait voleter ce rideau à chaque instant. […] puis il m’étreignit le poignet, et me dit :- Ne me quittez pas – ne me quittez pas, mon vieil ami. Elle va m’assassiner ; je le sais. […] Ne la laissez pas venir près de moi, dit l’homme, en frissonnant, quand elle se pencha sur lui. Chassez-la ; je ne peux pas supporter sa présence. […] Je l’ai battue, Jem ; je l’ai battue hier, et je l’avais déjà battue plus d’une fois. Je l’ai affamée, et notre fils aussi ; et maintenant que je suis faible et sans défense, Jem, elle va m’assassiner pour se venger ; je le sais. Si vous l’aviez vue pleurer comme moi, vous le sauriez, vous aussi. Écartez-la !Il relâcha son étreinte et retomba épuisé sur l’oreiller. Je ne savais que trop bien ce que tout cela signifiait. Si j’avais pu nourrir un seul instant le moindre doute à cet égard, un simple coup d’œil sur le visage pâle et la silhouette amaigrie de sa femme aurait suffi à expliquer ce qu’il en était. […] Elle se plaça hors du champ de son regard. Au bout de quelques secondes, il ouvrit les yeux et regarda avec inquiétude autour de lui.- Est-elle partie ? demanda-t-il avidement. […] Je vais vous dire une chose, Jem, dit l’homme, d’une voix sourde, c’est que justement elle m’en fait, du mal. Il y a dans ses yeux quelque chose qui met au cœur une crainte si terrible que j’en deviens fou. Toute la nuit d’hier, ses grands yeux fixes et sa figure pâle sont restés tout contre mon visage ; chaque fois que je me retournais, ils me suivaient ; et quand je m’éveillais en sursaut, je la trouvais au chevet de mon lit qui me regardait.Il m’attira près de lui pour me dire en chuchotant d’une voix grave et inquiète :- Jem, ce doit être un esprit néfaste – un démon ! Chut ! Je le sais. Une femme serait morte depuis longtemps. Aucune femme n’aurait pu supporter ce qu’elle a supporté.J’eus le cœur soulevé à la pensée de la longue série de cruautés et de négligences qui avait dû se produire pour faire une telle impression à un homme comme lui. Je ne trouvais rien à répondre ; qui aurait pu, en effet, offrir un espoir, une consolation, à l’être dégradé que j’avais devant moi ? » (p. 52-54)
Mais ce qui est principalement la
force de ce roman, c’est son humour, et l’attachement aux personnages comme
toujours atypiques chez Dickens. C’est en constatant la popularité de
l’apparition de Sam Weller que Dickens prit la décision de l’inclure de manière
permanente dans l’histoire. Le rapprochement serait facile de lier Sam à Sancho
Panza, l’écuyer du Quichotte, dans la relation de maître et valet qu’il
entretient avec M. Pickwick, mais dont la cordialité et le respect mutuel les
place davantage dans une relation entre égaux. Sam est bien moins poltron que l’écuyer
espagnol, sa fidélité est indéfectible envers son maître et il se montre
extrêmement débrouillard, s’adaptant à toutes sortes de situations et s’en
tirant à chaque fois avec bon sens et sang-froid. Son caractère imperturbable
est démontré en particulier dans son témoignage au cours du procès Bardell, à
rebours de la panique de M. Winkle, le sportif de la bande du Pickwick Club
mais qui ne l’est en fait absolument pas (entraînant des situations savoureuses
et étant au centre de presque toutes les premières scènes comiques : un
duel, une montée à cheval ou une partie de chasse, toutes conduisant à la
catastrophe ou près de l’être, au cours desquels le pauvre homme tente tant
bien que mal de sauvegarder sa réputation). Les membres accompagnant M. Pickwick
vont définitivement passés au second plan, bien qu’étant toujours présents,
pour laisser place aux déboires principalement de M. Pickwick mais surtout, les
aventures de son valet, Sam Weller, qui seront l’objet de nombreux chapitres à
part, au cours desquels il remplit diverses missions pour M. Pickwick, séduit
une jolie femme de chambre, Marie, ou entre en interaction avec son père, un
cocher détestant les veuves (depuis que sa seconde femme s’est infatuée de
l’imposteur Stiggins) et dont les dialogues avec son fils constituent le ciment
principal de l’humour du roman dans sa seconde partie. Pour ce faire, Dickens
emploie toute son ingéniosité dans la création d’une langue orale particulière
à ses deux personnages, qui n’en est pas moins très littéraire, et dont la
récurrence de certains termes détournés contamine le lecteur par leur saveur et
leur humour pour l’attacher définitivement à ces deux personnages. Sam et son
père détournent à leur convenance nombre de mots savants dont la déformation
est un élément irrésistible de comique. Weller père par exemple s’échine à
écrire son nom « Veller » par sa propension à écrire en lettres
capitales romaines, ce qui le conduit à nommer affectueusement son fils
« Samivel » également. Réfléchissant, à sa manière, aux divers moyens de défense pour Pickwick (dans le cadre de son procès), il conseille à son fils de trouver un « aillibi » à
son maître et n’en démordra pas jusqu’au bout malgré les tentatives de correction
de son fils, mi-amusé, mi-agacé. Weller fils de même a hérité de cette extrême
liberté, cette propension à se réapproprier, transformer les mots, ce que
Dickens s’amuse à démultiplier pour le plaisir de son lecteur. Voici un passage où Weller père échafaude un merveilleux plan d'évasion à l'intention de son fils et de M. Pickwick :
« Nous deux, un ébéniste, on a combiné un plan pour le faire sortir. C’est un piano, Samivel, un piano ! dit M. Weller en donnant à son fils une tape dans la poitrine avec le dos de la main, tout en reculant lui-même d’un ou deux pas.- Qu’est-ce que tu racontes ? dit Sam.- Un piano aqeux, Samivel, répliqua M. Weller d’un air encore plus mystérieux, qu’on peut avoir en location ; c’en est un qui fait pas de musique, Sammy.- Et à quoi que ça servirait ? demanda Sam. […]- Y a pas de mécanique dedans, lui glissa son père à l’oreille. Il y tiendra facilement, avec son chapeau et ses chaussures, et il pourra respirer par les pieds, vu qu’ils sont creux. T’auras qu’à avoir un billet de préparé pour la Mérique. Et le gouvernement méricain, il le livrera jamais, quand il se sera aperçu qu’il a de l’argent à dépenser, Sammy. Le patron aura qu’à y rester, jusqu’à ce que la mère Bardell, elle soye morte, ou MM. Dodson et Fogg pendus (à mon avis, c’est plutôt ça qui risque d’arriver en premier, Sammy) et alors, il aura qu’à revenir et à écrire un livre sur les Méricains qui lui paiera tous ses frais, avec du bénéf s’il leur casse assez de sucre sur le dos.M. Weller prononça ce résumé rapide de son complot en un chuchotement fort véhément ; puis, comme s’il craignait d’affaiblir l’effet de cette communication sensationnelle en poursuivant le dialogue, il fit le salut des cochers, et disparut. » (p. 754)
Sam n’est pas en reste vis-à-vis de son père, et se
distingue principalement par sa profusion de proverbes et de maximes morales,
qui ont toutefois tendance à être morbides. Voici quelques exemples :
« Voilà ; et maintenant, tout ça vous a un petit
air propre et gentil, comme disait le père qu’avait coupé la tête à son petit
garçon pour l’empêcher de loucher. » (p. 457) ; « Oui, on en
ramasse toujours assez, Monsieur, comme disait le soldat quand on y avait
infligé trois cent cinquante coups de fouet. » (p. 574) ; Non,
non ; chacun à tour de rôle, comme il disait, Jack Ketch, en ficelant ses
bonhommes. » ; « Je ferai mieux la prochaine fois, comme disait
la petite fille qui avait noyé son frère et égorgé son grand-père. »
Les Papiers posthumes du Pickwick Club
étaient destinés au départ à être un feuilleton divertissant, avec de
nombreuses scènes amusantes tirées d’activités sportives. Dickens partit sur ce
synopsis, qui lui fut imposé, mais très vite, il s’en détournera. Si au début
du roman, il maintient artificiellement le caractère supposément posthume du
roman, résultat d’un supposé travail d’édition des notes prises par les quatre héros du
Pickwick Club, Dickens abandonne rapidement cet artifice littéraire au bout
d’une centaine de pages. De même, Pickwick, avec son pantalon collant, ses
guêtres, et son physique gras (imposé par son éditeur qui ne concevait les
personnages ridicules et bouffons que selon l’archétype du Falstaff de
Shakespeare), si, au départ, était censé être ridicule, et drôle de par cet
aspect (son étude prétendument savante qui le pousse à voyager dans tout le
pays pour voir la vie et les mœurs humaines), et l’est effectivement au début
du roman, se révèle au fur et à mesure, un héros moral, d’une infinie bienveillance, et
prêt à rendre service ou venir en aide aux personnes qu’il rencontre et aux
amis qu’il se fait au fil de ses aventures, bien que cela finisse parfois de manière
comique à ses dépens. Son courage culmine lorsqu’il entre dans la prison de
dettes pour son honneur et son obstination à combattre l’injustice. Ses
affrontements avec M. Jingle, qui l’indigne lorsqu’il découvre sa scélératesse
puis son procès dans l’affaire Bardell, le révèle volontaire, actif dans
l’adversité et finalement héroïque.
Pour
conclure, la lecture de ce Pickwick
est un pur régal, un revigorant qui enchante le lecteur, et ce quelque soit son
âge. Il est dommage qu’il ne soit pas disponible
dans une version poche abordable car il s’agit pour moi du meilleur Dickens
pour aborder cet auteur, le plus réussi au niveau comique et plaisir de
lecture. Voici un livre que j’aurais aimé découvrir enfant, et qui m’aurait
sans doute enchanté davantage à cet âge, à l’instar de l’auteur G. K.
Chesterton qui le préférait à tous les autres Dickens, l’ayant lu enfant et en
ayant gardé un souvenir impérissable. Voici donc un livre à diffuser le plus
possible et propre à enchanter le lecteur de tous âges, petits et grands.