Quatrième de couverture :
Depuis son installation au village de Raveloe, le tisserand Marner
suscite méfiance et interrogations. Quel malheur l'a contraint à fuir sa
communauté du Nord de l'Angleterre ? D'où tient-il ses curieux talents
de guérisseur ? Et pourquoi vit-il retiré dans une chaumière en lisière
de forêt ?
Retranché des vivants, sans femme et sans enfants, Marner
sombre dans la routine d'un travail solitaire et ne trouve de
consolation que dans la contemplation de son or, amassé quinze années
durant... jusqu'au soir où son trésor disparaît.
Si le sort du pauvre
homme apitoie les villageois, la rumeur se refuse à soupçonner de vol
l'un des fils Cass, hobereaux locaux dont les frasques sont pourtant
connues. Mais une surprise de taille attend le tisserand, qui pourrait
consoler son vieux cœur... et changer celui de ses voisins. Récit
d'une malédiction et d'une rédemption, Silas Marner offre un tableau
réaliste des coutumes, préjugés et superstitions de l'Angleterre rurale
sous le règne de Georges III.
La relative
obscurité de George Eliot parmi le public francophone s’explique selon moi d’après plusieurs
facteurs. En premier lieu, elle n’a rien de ce qui fait le charme immédiat
d’écrivains de langue anglaise du 19e, comme Jane Austen, Charles
Dickens, les sœurs Brönte (pour ne citer que les noms les plus célèbres) qui
nous charment respectivement pour leur ironie, leur chaleur humaine et leur
fougue passionnelle, qui entraînent sans trop de problème le lecteur et ce dès
le début du récit. À l’inverse, les écrits de George Eliot se caractérisent par
leur gravité qui se double d’interventions morales de la part de l’auteur qui
n’ont rien du romanesque des auteurs cités ci-dessus. Le moins qu’on puisse
dire, c’est que les livres de George Eliot ne sont pas des livres que l’on lit
pour y trouver un divertissement agréable et sentimental, et l’auteure
elle-même avait choisi son pseudonyme masculin pour se distancier des
romancières à la mode et de leurs écrits sentimentaux souvent superficiels.
Un des thèmes essentiels dans l’œuvre de George Eliot, c’est
le devoir moral et ce qu’il implique, c’est-à-dire le renoncement à nos sentiments
et aspirations personnelles, qu’ils soient égoïstes (ce qui est la plupart des
cas chez ses personnages) mais aussi élevés et nobles, et ce pour le bien
d’autrui au détriment de soi. Dans Middlemarch, c’est le
sacrifice douloureux de Lydgate qui abandonne ses ambitions scientifiques pour
un poste de médecin quelconque afin d’assurer la stabilité de son foyer, lui
qui s’est marié bien maladroitement avec la superficielle Rosamund Vincy. Dans Le Moulin sur la Floss, c’est le
sacrifice de Maggie qui, bien que ses aspirations d’émancipation et d’éducation
soient tout à fait justes et légitimes, renonce à l’amitié de Philip Wickham
qui symbolise l’accès à la culture et à la connaissance, en raison des
querelles familiales opposant leurs familles respectives.
Cette omniprésence du devoir est bien visible dans ce
témoignage d’un contemporain de George Eliot, Frederic W. H. Myers, qui a
rencontré cette dernière :
« I remember how at Cambridge I walked with her once in the Fellows’ Garden of Trinity, on an evening of rainy May; and she, stirred somewhat beyond her wont, and taking as her text the three words which had been used so often as the inspiring trumpet-call of men—the words God, Immortality, Duty— pronounced with terrible earnestness how inconceivable was the first, how unbelievable was the second, and yet how peremptory and absolute the third. Never, perhaps, have sterner accents confirmed the sovereignty of impersonal and unrecompensing Law. I listened, and night fell; her grave, majestic countenance turned towards me like a sybil’s in the gloom; it was as though she withdrew from my grasp, one by one, the two scrolls of promise and left me the third scroll only, awful with inevitable fates. And when we stood at length and parted, amid that columnar circuit of forest trees, beneath the last twilight of starless skies, I seemed to be gazing, like Titus at Jerusalem, on vacant seats and empty halls—on a sanctuary with no Presence to hallow it, and heaven left empty of God. »
Le devoir chez George Eliot est
le fait de renoncer à notre volonté propre pour le bien d’autrui, de renoncer à
nos rêves, aspirations en face de la réalité si l’on peut dire, ce que l’on peut
comparer à l’opposition du principe de plaisir et du principe de réalité chez
Freud. Pour Eliot, le devoir est douloureux mais constitue la « réalité »,
un impératif, et toutes les tentatives pour fuir ce devoir, cette douleur, ont
des conséquences néfastes aggravés à plus ou moins long terme. Contrairement donc à
beaucoup d’écrivains qui insistent sur la liberté, l’accomplissement de
l’individu et de ses aspirations, George Eliot va à rebours de cette logique
individualiste, non pas par simple défaitisme, mais par le fait que de
l’accomplissement du devoir dépend ou non le bonheur d’autrui, au nom du
principe de réalité freudien. C’est ce qui explique la gravité, l’austérité qui
caractérisent chaque roman de George Eliot et qui sans doute rebute je pense
nombre de lecteurs.
Le
sérieux des romans de George Eliot n’est pas le résultat toutefois d’une
moraliste bornée, ce qui pourrait transparaître à travers l’importance
primordiale accordée au devoir dans son œuvre. Eliot associe étroitement le
devoir avec la bonté, et le fait que par son accomplissement, c’est un monde
plus heureux, ou à défaut avec moins de souffrances, qui en découle. « La
croissance du bien » est le résultat de toutes les petites actions
invisibles, tous les sacrifices invisibles de personnes du quotidien, dont on
ne perçoit pas les souffrances et dont l’héroïsme n’est que rarement perçu.
C’est cet héroïsme invisible qu’Eliot rend visible et nous fait découvrir dans
sa fiction, et ce qui rend ses écrits si émouvants. Au sortir de leur lecture, nous
voyons vraiment le monde autour de nous de manière différente, plus pondérée,
assagie et c’est en ce sens que j’aime tant ses romans et que Middlemarch
est un de mes romans préférés à ce jour, dont voici les dernières lignes, condensant ce
que je viens d’écrire :
« En effet il n’existe pas de créature dont l’être intérieur ait assez de force pour ne pas être largement déterminé par des éléments extérieurs à lui. Une nouvelle Thérèse n’aura guère l’occasion de réformer une vie conventuelle, non plus qu’une nouvelle Antigone ne dépensera son héroïque piété à tout oser pour l’enterrement d’un frère : le milieu dans lequel prirent forme leurs actions ardentes a disparu à jamais. Mais nous autres gens insignifiants, par nos paroles et nos actes quotidiens, nous préparons la vie de nombreuses Dorotheas, et certaines d’entre elles offriront des sacrifices bien plus douloureux que celui de la Dorothea que nous connaissons.Son esprit marqué de noblesse gardait son attachement à de nobles causes, même si elles n’étaient pas d’une grande visibilité. Sa riche nature, tel le fleuve dont le Cyrus brisa la violence, se répandait par des canaux qui ne portent de grand nom sur cette terre. Pourtant l’effet de son être sur ceux qui l’entouraient était d’une incalculable étendue ; car la croissance du bien dans le monde dépend en partie d’actes qui n’ont rien d’historique ; et si les choses vont moins mal qu’elles ne le pourraient pour vous et moi, on le doit un peu au nombre d’êtres qui mènent fidèlement une vie cachée avant de reposer en des tombes délaissées. »
Venons-en maintenant au présent
roman, Silas Marner. Les premières
pages sont riches d’analyses psychologiques relatives à la communauté, ici
l’accueil fait par le village de Raveloe au tisserand Silas Marner qui lui est étranger. Eliot excelle dans cette psychologie des
foules, et la ville fictive de Middlemarch était à elle seule un personnage à
part entière dans son roman le plus célèbre. Voici comment Marner est perçu par
ses nouveaux voisins :
« À cette époque reculée, la superstition s’attachait facilement à tout individu ou à tout fait tant soit peu étrange. Et pour qu’une chose parût telle, il suffisait même qu’elle revînt périodiquement ou accidentellement, comme les visites du colporteur ou du rémouleur. […] Pour les paysans du temps jadis, le monde au-delà de l’horizon de leur expérience personnelle était une région vague et mystérieuse. Pour leur pensée restée stationnaire, une vie nomade était une conception aussi obscure que l’existence, en hiver, des hirondelles qui revenait avec le printemps. Même l’étranger fixé définitivement parmi eux, s’il était venu d’une région éloignée, ne cessait presque jamais d’être regardé avec un reste de défiance. Cette circonstance eût empêché de s’étonner le moins du monde s’il avait commis un crime après de longues années d’une conduite inoffensive, particulièrement s’il avait quelque réputation d’être savant ou s’il montrait une certaine habileté dans son métier. Tout talent, soit dans l’usage rapide de la langue, cet instrument difficile, soit dans quelque autre art peu familier aux villageois, était en lui-même suspect : […] les moyens d’acquérir la rapidité ou l’habileté dans un art quelconque étaient si inconnus que ces talents semblaient tenir du sortilège. Il arrivait ainsi que ces tisserands dispersés, émigrés de la ville à la campagne, étaient considérés toute leur vie comme des étrangers par leurs voisins et contractaient les habitudes excentriques inhérentes à une existence solitaire. »
Je
constate qu’il est parfois difficile de s’immerger dans un roman d’Eliot, et
Silas Marner en est un parfait exemple. Les deux premiers chapitres sont
surtout des considérations de ce type, suivis de l’histoire du passé de Silas
avant sa venue à Raveloe, et peuvent sans doute ennuyer ceux qui ne sont pas
habitués au style de la romancière. L’histoire ne décolle vraiment pourrait-on
dire que lorsque le récit se concentre sur les frères Cass, à partir du troisième
chapitre, dont la vie dissolue va amener l’un des frères à voler le trésor de
Silas, la seule consolation que ce dernier pût trouver suite aux trahisons dont
il fut l’objet dans sa ville natale et qui conduisirent à son arrivée à Raveloe.
Voici la magnifique description qu’Eliot fait de Silas, pleine de compassion et
de précision psychologique :
« Quelqu’un qui l’eût observé pendant que la lumière rougeâtre brillait sur son pâle visage, sur ses yeux étranges et distendus et sur son corps maigre, aurait peut-être compris le mélange de pitié dédaigneuse, de crainte et de soupçon avec lequel il était regardé par ses voisins de Raveloe. Cependant, peu d’hommes pouvaient être plus inoffensifs que le pauvre Marner. Dans son âme naïve et sincère, même l’avarice croissante et le culte de l’or étaient incapables d’engendrer un seul vice susceptible de porter directement préjudice à autrui. La lumière de sa foi s’étant éteinte complètement, et ses affections ayant été désolées, il s’était attaché de toutes les forces de sa nature à son travail et à son argent ; et comme tous les objets auxquels un homme se dévoue, ces choses l’avaient façonné pour l’adapter à elles-mêmes. Son métier, auquel il travaillait sans relâche, avait agi sur lui en retour et fortifié dans son cœur le monotone désir d’entendre la réponse de son bruit monotone. Et son trésor, tandis qu’il était courbé au-dessus et le voyait s’accroître, comprimait dans son âme la faculté d’aimer, la durcissait et l’isolait comme les pièces de métal qui la composaient. » (p. 69)
Dès
l’instant où nous côtoyons les personnages dans leur quotidien passés les deux
premiers chapitres introductifs, nous sommes plongés d’entrée dans la
préoccupation majeure de George Eliot, à savoir le devoir moral dont nous
venons de parler. Godfrey Cass, le fils aîné d’une riche famille propriétaire
terrienne dont la gestion des terres est toutefois épouvantable due à la négligence et le manque d'initiative des propriétaires de l'époque (et qui va conduire à leur future extinction), ressemble à bien des égards à Fred Vincy, le jeune oisif de
Middlemarch menant une vie dissolue tout en aspirant à une vie plus rangée. Ils
sont également tous deux amoureux d’une jeune fille qui symbolise cette volonté
d’une autre vie mais dont le mariage n’est possible qu’en renonçant à leur vie
déréglée. Tous deux sont des êtres profondément irrésolus, incapables de
prendre une décision, de faire face à la (dure) réalité. En effet, Godfrey cache un lourd secret dont l’aveu aura des
conséquences cuisantes et douloureuses pour lui, et devant cette perspective,
il en retarde sans cesse l’échéance, bien qu’il sache en son for intérieur que cette confession est indispensable s’il veut se débarrasser du chantage de son frère Dunstan,
surnommé « Dunsey ».
« Son grand corps musculeux était plein de courage physique ; cependant il ne lui suggérait aucune décision lorsque les dangers à braver ne consistaient point à terrasser ou à étrangler quelqu’un. Son irrésolution naturelle et sa couardise morale se trouvaient exagérées par une situation où les conséquences redoutables semblaient presser de tous côtés avec la même force. Son irritation ne l’eut pas plutôt provoqué à défier Dunstan et à devancer toutes les dénonciations possibles, que les misères qu’il devait s’attirer en agissant ainsi lui parurent plus insupportables que le mal actuel. Les résultats d’un aveu n’étaient pas douteux : ils étaient sûrs, tandis que la dénonciation restait incertaine. […] Non ! Mieux valait pour lui se fier au hasard qu’à sa propre résolution, mieux valait rester assis au festin, buvant le vin qu’il aimait, même avec l’épée suspendue au-dessus de sa tête et la terreur au cœur, que se précipiter dans les froides ténèbres où tout plaisir serait jamais perdu. » (p. 49)
On s’en
doute, l’irrésolution, le recul devant le devoir moral qui s’impose, quelque
douloureux qu’il soit, va avoir des conséquences encore plus désastreuses que
la décision difficile de l’aveu volontaire. En général, les personnages irrésolus d’Eliot
attendent que la situation empire au point qu’ils n’ont plus guère le choix et
doivent se résoudre à l’épreuve qu’ils redoutaient tant et qu’ils ont retardé
jusqu’au bout. On pense, comiquement, à la dette que Fred Vincy a négligemment contractée
et dont il repousse l’aveu à Caleb Garth, qui s’en est, par sa bonté, porté
garant. Un peu plus loin, après l’aveu douloureux à son père de la dette qu’il
a contracté, on constate que Godfred espère toujours un miracle qui lui
épargnera la tâche douloureuse d’avouer son secret le plus lourd qui
porterait préjudice à ses chances d’épouser Nancy Lammeter :
« Godfred sortit, sachant à peine s’il était plus soulagé à l’idée que l’entrevue était terminée sans avoir apporté aucun changement à sa position, ou plus inquiet en songeant qu’il s’était enchevêtré davantage dans les subterfuges et les artifices. […] la crainte que le squire ne glissât à M. Lammeter, après un dîner, quelques mots qui fussent de nature à le mettre, lui, Godfrey, dans un embarras tel qu’il serait absolument obligé de refuser Nancy, au moment même où elle semblerait être à sa portée. Il eut recours à son refuge ordinaire, l’espérance de quelque coup imprévu de la fortune, de quelque chance favorable qui lui épargnerait des conséquences désagréables, peut-être même justifierait son manque de sincérité en en manifestant la prudence. En ce qui concerne le fait de compter sur quelques coups de dés de la fortune, on peut à peine dire que Godfrey fût de la vieille école. Le hasard favorable est le dieu de tous les hommes qui suivent leurs propres impulsions, au lieu d’obéir à une loi à laquelle ils croient. […] S’il dépense au-delà de son revenu, s’il évite le travail honnête et résolu qui procure un salaire, il se met aussitôt à rêver à la chance de trouver un bienfaiteur, un nigaud qu’il saurait cajoler afin d’user de son influence en sa faveur, à s’imaginer un état d’esprit possible chez quelque personne probable point encore prête à paraître. Qu’il néglige les obligations de son emploi, il jette inévitablement son ancre sur le hasard, avec l’espoir que la chose qui n’a point été faite ne se trouvera pas être de l’importance supposée. […] Le mauvais principe rejeté par cette religion, c’est l’ordre naturel de la succession des choses, d’après lequel les semences produisent une récolte de leur espèce. » (p. 118-9)
L'autre versant de l'acceptation du principe de réalité, c'est la résignation face au malheur et à la souffrance. Sur ce plan les romans d'Eliot sont une formidable leçon de résilience et de dignité humaines face aux malheurs et aux injustices que de tous temps la réalité fait subir à l'homme. Voici ce qu’Eliot met dans la bouche du personnage de
Dolly Winthrop, à l’esprit simple mais résigné, acceptant avec courage les malheurs qui l'ont frappé, dont les paroles ci-dessous pourraient presque résumer à elles seules toutes les préoccupations d'Eliot dans ses romans :
« […] je suis incapable de rien comprendre au sort et à la réponse fausse qui en a été le résultat [parlant de l’exil forcé de Marner par la communauté de son village natal]. On aurait peut-être besoin du pasteur, et il ne pourrait le faire qu’avec de grands mots. Mais ce qui m’est venu aussi clair à l’esprit que la lumière du jour, lorsque je me tourmentais au sujet de la pauvre Bessy Fawkes – cela me vient toujours en tête quand je prends part aux chagrins de mon prochain et que je sens que je ne puis faire beaucoup pour lui venir en aide […] - ce qui m’est venu à l’esprit, dis-je, c’est que ceux qui sont là-haut ont un cœur bien plus tendre que le mien, car je ne saurais être meilleure que ceux qui m’ont créée ; et, s’il est des choses qui me paraissent difficiles à comprendre, c’est parce qu’il y en a d’autres que je ne connais pas. À cet égard, il y en a sans doute beaucoup d’inconnues pour moi. […] ne doit-on pas compter sur ceux qui nous ont créés, attendu qu’ils en savent davantage que nous et ont de meilleures intentions ? Voilà tout ce dont je puis être sûre : tout le reste est pour moi une énigme compliquée, lorsque j’y songe : car il y a la fièvre qui m’a enlevée les enfants tout à fait grands et ne m’a laissé que les plus faibles ; il y a les membres cassés ; il y a ceux qui, voulant bien agir et ne pas boire avec excès, ont à souffrir de la part de ceux qui sont différents. Oh ! il y a des ennuis dans ce monde, et il y a des choses que nous ne sommes jamais en état de comprendre ! Tout ce que nous devons faire, c’est d’avoir confiance, maître Marner, c’est d’accomplir notre devoir autant que cela nous est possible – c’est d’avoir confiance. Or si nous, qui ignorons tant de choses, sommes à même de remarquer qu’il existe quelque bien et quelque justice, soyons certains qu’il y a plus de bien et de justice que nous ne sommes capables d’en concevoir – je sens en moi-même qu’il ne peut en être autrement. » (p. 221-222)
George Eliot
n’est sans doute pas la plus grande styliste qui soit en littérature, mais ce n’est
pas la majeure raison pour laquelle elle doit être lue, ni pour ses histoires qui
sont somme toute assez banales et ordinaires. Silas Marner si on ne s’en tenait qu’à l’histoire est le récit classique
d’un vieil homme racheté, ramené à la vie par l’amour qu’il porte à une petite fille
qu’il recueille et adopte. S’il faut lire Silas
Marner, et par extension tous les romans de George Eliot, c’est pour leur extraordinaire
richesse dans l’analyse psychologique, due à l’intelligence et aux capacités cognitives
de George Eliot qui en matière de littérature sont supérieurs à bien d’autres écrivains,
même parmi les meilleurs. Avec cette romancière, nous avons vraiment l’impression
de voir des aspects nouveaux, cachés de notre propre vie que nous n’aurions probablement
pas vus sans elle, pour reprendre une formule de Marcel Proust (qui vouait une grande admiration pour George Eliot) qui faisait de cet adage une caractéristique essentielle
de la grande littérature. C’est une littérature qui nous grandit, dans le sens où
elle nous impose une vigilance accrue vis-à-vis de nous-mêmes, de nos égarements,
de nos chimères parfois, ainsi que du monde et des êtres qui nous entourent, que
nous avons trop tendance parfois à négliger…
"Middlemarch est mon roman préféré à ce jour". L'autre jour je voulais te demander justement quel était ton roman préféré, mais pour Middlemarch est-ce que tu parles pour George Eliot seulement ou s'il est réellement ton roman préféré à vie ?
RépondreSupprimerEt autre question (si je peux me permettre) : est-ce que tu feras un bilan de tes lectures des 6 premiers mois le 1er juillet comme tu le faisais dans les autres années ?
On a plusieurs préférences en commun bien sûr mais je trouve que la principale différence c'est la période, parce que je préfère le 20e siècle littéraire alors que tu sembles préférer le 19e siècle. Par exemple, dans les grands romans familiaux je pense que mon préféré c'est Ada ou l'Ardeur de Nabokov, en tout cas je le relis systématiquement.
A+
Si je dois faire un top romans à ce jour, en ne tenant compte que des romans relus, ce serait, oui, Middlemarch en premier, suivi de la trilogie romanesque de Beckett et du Livre de l’intranquillité de Pessoa. Et pour faire un top écrivains, en m’en tenant strictement aux écrivains dont j’ai lu/relu une bonne partie des œuvres et dont le souvenir est encore très présent dans mon esprit, voici ce que cela donnerait, bien que les trois dernières places soient assez précaires et seront probablement remplacées dans les mois à venir par d’autres écrivains que j’approfondirai/relirai dans l’intervalle :
RépondreSupprimer1)Anton Tchekhov
2)George Eliot
3)Samuel Beckett
4)William Shakespeare
5)Goethe
6)Fernando Pessoa
7)Virginia Woolf
8)Léon Tolstoï
9)José Saramago
10)Robert Walser
Je ne comptais pas publier un bilan des 6 premiers mois, car j’ai lu assez peu ces derniers mois en raison de contraintes personnelles. Il est donc peu fourni mais si cela t’intéresse, je le publierai le 1er juillet, comme je l’avais fait l’année dernière.
Et oui, il est vrai que j’aime beaucoup le 19e siècle mais le 20e n’est pas en reste non plus, avec tant d’écrivains talentueux comme Beckett, Pessoa, Woolf, Kafka, Borges, McCarthy, Walser etc.
En roman familial, je crois que ma préférence irait pour Guerre et paix, c'est d'ailleurs grâce aux deux grands romans de Tolstoï que j'ai commencé à aimer la littérature et je garderai toujours de leur lecture un souvenir inoubliable.
A+
Merci pour ce top 10, ça m'éclaire encore plus sur tes goûts personnels. Pour ma part j'ai travaillé dernièrement sur mon top 200 et je vais le publier probablement en octobre ou novembre. J'avais été bon pour sortir 300 écrivains qui méritaient leur place et j'ai donc dû en couper 100. C'est fou comment, au fil des années, on lit plusieurs écrivains sans s'en rendre compte, je ne pensais même pas en trouver 200 pour ce top.
RépondreSupprimerEt bien sûr que ton bilan m'intéresse même si tu n'as pas lu beaucoup, ça fait des semaines que j'ai hâte de voir les livres que tu as lus. Pour ma part, je me donne encore quelques années pour lire beaucoup et donc publier ces bilans aux trois mois mais ensuite je compte faire beaucoup de relecture et écrire beaucoup aussi et donc, je vais probablement me contenter de 3 chroniques par mois sur mon blogue, parce qu'on dirait que "d'absorber" plusieurs écrivains ce n'est pas facile à long terme pour la conscience, je préfère relire les mêmes. ;-)
(Je vois que tu places Shakespeare très haut mais dans mon top 200 j'ai placé Racine avant lui ;)
A+
Merci pour ces précisions sur ton top, j’ai hâte de le lire quand tu le publieras. J’ai moi aussi tenté un tel exercice, et cela m’a permis de me rendre compte à quel point je connais peu d’écrivains vraiment en profondeur. Ces derniers mois donc, et dans mes lectures à venir, je tente de lire surtout les œuvres d’écrivains que j’ai déjà lus et que je veux mieux connaître.
RépondreSupprimerParmi les livres que je compte lire prochainement, il y a entre autres le premier volume des œuvres complètes de Virginia Woolf en Pléiade, que j’ai pu dénicher à un prix réduit, contenant toutes ses romans écrits avant Vers le phare, dans une traduction nouvelle.
Oui, pour Shakespeare, ce n’est que tardivement que je l’apprécie vraiment, j’ai l’intention de lire/relire toutes ses pièces dans un avenir proche, et c’est lui d’ailleurs que j’ai le plus lu ces 6 derniers mois.
A+
Bonjour
RépondreSupprimerAprès ma lecture de Middlemarch j'ai fait l'acquisition des autres romans de George Eliot et je lirai Silas Marner, votre avis compte car je me retrouve très bien dans vos critiques, j'ai aimé comme vous la richesse psychologique de cette auteure, une sorte d'ancêtre de Henry James écrivain que j'aime énormément
Bonjour,
RépondreSupprimerHenry James justement aimait beaucoup George Eliot, bien qu’il critiquât certains aspects de l’œuvre de cette dernière. D’ailleurs, Silas Marner était son préféré de l’auteure, d’après un essai qu’il écrivit avant la parution de Middlemarch :
« To a certain extent, I think Silas Marner holds a higher place than any of the author's works. It is more nearly a masterpiece; it has more of that simple, rounded, consummate aspect, that absence of loose ends and gaping issues, which marks a classical work. »
Pour le lien vers l’essai complet de James (assez long mais très enrichissant, et traitant de tous ses romans pré-Middlemarch), c’est ici : http://www.victorianweb.org/authors/jamesh/eliot.html
Nul doute qu’il ait été influencé par Eliot dans ses écrits. Washington Square, le seul livre que j’ai lu de James et que j’ai beaucoup aimé, ressemble en de nombreux points aux livres d’Eliot dans leur richesse psychologique que vous évoquez. C’est un auteur que j’ai envie de lire davantage, j’ai son Portrait d’une femme qui m’attend dans mes étagères depuis un certain temps déjà...