(L'édition de la pièce est celle dans Œuvres complètes I, éd. Gallimard, coll. Pléiade, 2010)
Si Le Malade imaginaire est sans doute la pièce la plus célèbre de Molière parmi ses pièces satiriques sur la médecine, L’Amour médecin n’est pas en reste sur ce domaine et regorge de situations absurdes, qui eussent pu sembler exagérées, si la réalité actuelle que nous vivons ne leur donnait pas une résonance attestant de leur vérité universelle, qui au lieu de paraître outrée serait presque par comparaison sous-estimée, tant la fiction, loin d’être invraisemblable comme il lui a été souvent reproché, se trouve souvent prise à défaut et dépassée par l’absurdité du réel et la bêtise humaine.
Les parallèles que nous pouvons tracer entre ces pièces et notre époque contemporaine sont innombrables : qu’il s’agisse des comportements de certains médecins, plus préoccupés de suivre à la lettre telle ou telle méthodologie rigide et abstraite au détriment de la santé et de la vie concrète du patient (voir la conversation entre Monsieur Tomès et Monsieur des Fonandrès à l’acte II, scène 3, ainsi que la courte réplique de Monsieur Bahès à l'acte II, scène 5), voire même à nier la réalité lorsque celle-ci vient à l'encontre de leurs croyances (voir la scène entre Monsieur Tomès et la pragmatique servante Lisette, acte II scène 2) ; ou de la crédulité d'une large partie de la population toute disposée à croire à divers miracles (le médicament-miracle Orviétan aux innombrables vertus thérapeutiques, acte II scène 7), en dehors de toute rationalité, pour soulager leur peur de mourir (voir la tirade de Filerin, acte III scène 1).
Voici
ci-dessous un court florilège de certaines passages frappants de la pièce, découpé en 2 parties :
1/ Une première partie, assez courte, à teneur moraliste.
2/ Une seconde partie, plus conséquente, consacrée à la satire de la médecine.
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1/ Partie moraliste :
SGANARELLE (au sujet de la mort de sa femme) : Elle est morte, cette perte m’est très sensible, et je ne puis m’en ressouvenir sans pleurer. Je n’étais pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble ; mais enfin, la mort rajuste toutes choses. Elle est morte : je la pleure. Si elle était en vie, nous nous querellerions.
SGANARELLE (sur les conseils de ses amis quant à la conduite à adopter face à la mélancolie de sa fille) : Tous ces conseils sont admirables assurément : mais je les tiens un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous. […] Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fâchée de la voir la femme d’un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n’est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j’ai mes raisons pour cela. Mais le conseil que vous me donnez de la faire Religieuse, est d’une femme qui pourrait bien souhaiter charitablement d’être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s’il vous plaît, que je n’en suive aucun. Voilà de mes donneurs de conseils à la mode. (Acte I, scène 1)
LISETTE : On dit bien vrai : qu’il n’y a point de pires sourds, que ceux qui ne veulent point entendre. […] Que prétend-il que vous fassiez ? N’êtes-vous pas en âge d’être mariée ? et croit-il que vous soyez de marbre ? [à propos du refus de Sganarelle de marier sa fille, et de feindre même de ne pas l’avoir entendue] (acte I, scène 4)
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2/ Partie satire de la médecine :
LISETTE : il ne faut jamais dire, une telle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur la poitrine : mais, elle est morte de quatre Médecins, et de deux Apothicaires. […] Ma foi, Monsieur, notre Chat est réchappé depuis peu, d’un saut qu’il fit du haut de la maison dans la rue, et il fut trois jours sans manger, et sans pouvoir remuer ni pied ni patte ; mais il est bien heureux de ce qu’il n’y a point de Chats Médecins : car ses affaires étaient faites, et ils n’auraient pas manqué de le purger, et de le saigner. (acte II, scène 1)
LISETTE : Ah, Monsieur, vous en êtes.
SGANARELLE : De quoi donc connaissez-vous Monsieur ?
LISETTE : De l’avoir vu l’autre jour chez la bonne amie de Madame votre nièce.
MONSIEUR TOMÈS : Comment se porte son cocher ?
LISETTE : Fort bien, il est mort.
MONSIEUR TOMÈS : Mort !
LISETTE : Oui.
MONSIEUR TOMÈS : Cela ne se peut.
LISETTE : Je ne sais si cela se peut, mais je sais bien que cela est.
MONSIEUR TOMÈS : Il ne peut pas être mort, vous dis-je.
LISETTE : Et moi je vous dis qu’il est mort, et enterré.
MONSIEUR TOMÈS : Vous vous trompez.
LISETTE : Je l’ai vu.
MONSIEUR TOMÈS : Cela est impossible. Hippocrate dit que ces sortes de maladies ne se terminent qu’au quatorze, ou au vingt-un, et il n’y a que six jours qu’il est tombé malade.
LISETTE : Hippocrate dira ce qu’il lui plaira : mais le cocher est mort. (acte II, scène 2)
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MONSIEUR TOMÈS : Mais à propos, quel parti prenez-vous dans la querelle des deux médecins, Théophraste, et Artémius ? car c’est une affaire qui partage tout notre Corps.
MONSIEUR DES FONANDRÈS : Moi, je suis pour Artémius.
MONSIEUR TOMÈS : Et moi aussi, ce n’est pas que son avis, comme on a vu, n’ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne fût beaucoup meilleur assurément : Mais enfin, il a tort dans les circonstances, et il ne devait pas être d’un autre avis que son Ancien. Qu’en dites-vous ?
MONSIEUR DES FONANDRÈS : Sans doute. Il faut toujours garder les formalités, quoi qu’il puisse arriver.
MONSIEUR TOMÈS : Pour moi j’y suis sévère en Diable, à moins que ce soit entre amis, et l’on nous assembla un jour trois de nous autres avec un Médecin du dehors, pour une consultation, où j’arrêtai toute l’affaire, et ne voulus point endurer qu’on opinât si les choses n’allaient dans l’ordre. Les gens de la maison faisaient ce qu’ils pouvaient, et la maladie pressait : mais je n’en voulus point démordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation.
MONSIEUR DES FONANDRÈS : C’est fort bien fait d’apprendre aux gens à vivre, et de leur montrer leur bec jaune. [= qu’ils sont des ignorants]
MONSIEUR TOMÈS : Un homme mort n’est qu’un homme mort, et ne fait point de conséquence ; Mais une formalité négligée porte un notable préjudice à tout le Corps des Médecins. (acte II, scène 3)
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MONSIEUR BAHYS : Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre les règles. (acte II, scène 5)
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L’OPÉRATEUR chantant :
L’or de tous les climats qu’entoure l’Océan
Peut-il jamais payer ce secret d’importance ?
Mon remède guérit par sa rare excellence,
Plus de maux qu’on n’en peut nombrer dans tout un an.La Gale,
La Rogne,
La Tigne,
La Fièvre,
La Peste,
La Goutte,
Vérole,
Descente,
Rougeole,Ô ! grande puissance de l’Orviétan ! [...]
Admirez mes bontés, et le peu qu'on vous vend,
Ce trésor merveilleux, que ma main vous dispense.
Vous pouvez avec lui braver en assurance,
Tous les maux que sur nous l'ire du Ciel répand :La Gale,
La Rogne,
La Tigne,
La Fièvre,
La Peste,
La Goutte,
Vérole,
Descente,
Rougeole,Ô ! grande puissance de l’Orviétan ! (acte II, scène 7)
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MONSIEUR FILERIN : Puisque le Ciel nous fait la grâce que depuis tant de siècles, on demeure infatué de nous : ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes [Filerin se réfère à une dispute entre Tomès et Des Fonandrès sur le traitement adéquat à prodiguer à Lucinde, la fille de Sganarelle], et profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine, c’est là que va l’étude de la plupart du monde, et chacun s’efforce de prendre les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à profiter de l’amour que les hommes ont pour les louanges, en leur donnant tout le vain encens qu’ils souhaitent : et c’est un art où l’on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les Alchimistes tâchent à profiter de la passion qu’on a pour les richesses, en promettant des montagnes d’or à ceux qui les écoutent. Et les diseurs d’Horoscope, par leurs prédictions trompeuses profitent de la vanité, et de l’ambition des crédules esprits : mais le plus grand faible des hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie, et nous en profitons nous autres, par notre pompeux galimatias ; et savons prendre nos avantages de cette vénération que la peur de mourir leur donne pour notre métier. Conservons-nous donc dans le degré d’estime où leur faiblesse nous a mis, et soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et rejeter sur la Nature toutes les bévues de notre art. N’allons point, dis-je, détruire sottement les heureuses préventions d’une erreur qui donne du pain à tant de personnes. (acte III, scène 1)
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CLITANDRE [déguisé en Médecin pour voir sa fiancée Lucinde, fille de Sganarelle et objet d'attention des médecins pour son mal qui n'est autre que son amour contrarié pour Clitandre] : Comme l’Esprit a grand empire sur le corps, et que c’est de lui bien souvent que procèdent les maladies, ma coutume est de courir à guérir les esprits avant que de venir au corps. (acte III, scène 6)
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