« [...] ce n'est qu'en ruminant qu'on s'assimile ce qu'on a lu. » - (Arthur Schopenhauer)

« L'art, c'est se retrouver dans ce que l'on voit ou ce qu'on lit ; c'est quand l'auteur ou le peintre a su formuler mieux que moi ce qui m'arrive ou ce qui m'est arrivé, lorsqu'il l'interprète d'une façon beaucoup plus intelligente que moi, ou quand, grâce à son œuvre, je perçois ma propre vie d'une manière plus fine, plus belle, que moi. » - (Krzysztof Kieślowski)

mardi 22 décembre 2015

Le Vin de l'été, de Ray Bradbury : éloge de la lenteur, de la patience et du recul.

Présentation de l'éditeur :

The summer of '28 was a vintage season for a growing boy. A summer of green apple trees, mowed lawns, and new sneakers. Of half-burnt firecrackers, of gathering dandelions, of Grandma's belly-busting dinner. It was a summer of sorrows and marvels and gold-fuzzed bees. A magical, timeless summer in the life of a twelve-year-old boy named Douglas Spaulding—remembered forever by the incomparable Ray Bradbury.


        Les thèmes les plus chers à Bradbury, que l’on retrouve en filigrane également dans ses plus connus Fahrenheit 451 et Chroniques martiennes, sont la nécessité pour l’homme de prendre du recul vis-à-vis de lui-même et de l’agitation de la vie, de se retrancher en lui-même pour sentir plus profondément ce qui l’entoure et par ce biais, de profiter plus intensément de la vie et des petites choses auxquelles on ne porte pas assez voire pas du tout attention si l’on se laisse emporter par le conformisme, la recherche perpétuelle de « progrès » et de « bonheur » que nous font miroiter les sociétés contemporaines.

C’est cette sagesse qu’enseigne continuellement Bradbury et Le Vin de l’été en est une autre démonstration éclatante, plus encore je pense que les deux autres livres que je viens de citer ci-dessus. Le livre a pour personnage principal Douglas Spaulding, âgé de douze ans au moment où débute le récit, situé durant l’été 1928 dans la ville fictive de Green Town, Illinois. Il a le pressentiment, alors qu’il vient de se lever en ce premier jour d’été, que cette journée sera particulière pour lui.
« Alors qu’il traversait la pelouse ce matin-là, Douglas Spaulding, avec son visage, rompit une toile d’araignée. Un seul fil, invisible dans l’air, l’effleura au front et, sans un bruit, se cassa net. C’est ainsi que le plus futile incident lui apprit que ce jour serait différent. Et tandis qu’ils quittaient la ville en voiture pour se promener dans la campagne, son père lui expliqua, ainsi qu’à son frère de dix ans, Tom, que ce jour serait différent aussi parce qu’il y avait des jours composés uniquement d’odeurs et qui n’étaient rien que le souffle du monde d’une narine à l’autre. Il y avait d’autres jours, continua-t-il, où l’oreille saisissait les bruits les plus violents, les trompes, et les plus faibles, les trilles, de l’univers ; et d’autres encore qui flattaient le goût et le toucher. Il existait aussi des jours qui satisfaisaient tous les sens à la fois. Ce jour même, dit-il en hochant la tête, exhalait l’odeur d’un verger immense et sans nom qui aurait jailli de terre en une nuit par-delà les collines et rempli tout l’horizon visible de sa fraîcheur ardente. L’air sentait la pluie, mais il n’y avait pas de nuages. D’un moment à l’autre, un étranger aurait pu rire au loin dans les bois, mais c’était le silence… Douglas observa cette terre qu’il parcourait. Il ne sentait ni verger, ni pluie ; d’ailleurs, sans pommiers et sans nuages, il savait bien que ni l’un ni l’autre ne pouvaient exister. Et que penser d’un étranger qui rirait au loin dans les bois… ?
Cependant, le fait demeurait. Douglas frissonna : ce jour, sans raison, était un jour particulier. »

Cette promenade en forêt marquera en effet l’accession de Douglas à un monde nouveau, dans la mesure où il prend conscience du monde qui l’entoure, dans sa capacité à le sentir, à s’en enivrer pleinement, intensément.
« Et chaque chose, chaque chose absolument, était là. Le monde, comme l’iris géant d’un œil encore plus gigantesque qui s’ouvrirait et s’élargirait pour envelopper chaque chose, lui rendait fixement son regard. Et il comprit que c’était cela qui l’avait assailli, pour demeurer avec lui et non pour s’enfuir à nouveau.
« Je suis vivant », pensa-t-il.
Ses doigts tremblaient, ils avaient la teinte vive du sang, ils ressemblaient aux pétales d’un glaïeul découvert à l’instant et jamais vu auparavant. Alors, il s’émerveilla de cette campagne et de la révélation dont il lui était redevable. […] [Il] s’étendit sur le dos, la main levée vers le ciel. Il n’était qu’une tête dont les yeux, comme des sentinelles à travers les herses d’un étrange château, le long d’un pont, surveillaient son bras et ses doigts où le pennon vif du sang chatoyait à la lumière. […] L’herbe murmurait sous son corps. Il baissa le bras quand il sentit qu’il se couvrait de poussière et, très loin, entendit le crissement de ses orteils dans ses souliers. Le vent soupira à ses oreilles comme dans des coquillages. Le monde glissa brillant sur le globe de ses yeux, à la manière d’images scintillantes sur une sphère de cristal. Les fleurs se parèrent de soleil, des taches de feu parsemèrent la forêt. Les oiseaux se mirent à battre des ailes, ils ricochaient comme des galets sur l’immense étang renversé du ciel. […] Les millions de pores de son corps s’ouvrirent.
« Je suis réellement vivant ! pensa-t-il. Je ne l’ai jamais su auparavant, ou si je l’ai su, je ne m’en souviens pas ! » […]
« Quand je pense à cela, quand je pense à cela ! Douze ans et seulement maintenant ! Maintenant je découvre cette pendule exceptionnelle, cette horloge d’or vif et dont la garantie court sur soixante-dix ans ! […] »
Métamorphosé par cette nouvelle conscience de lui-même, Douglas, avec son frère Tom, décide dorénavant de consigner sur son cahier jaune « un traité des découvertes et des révélations ».
« Lorsque que tu fais quelque chose, tu n’y prêtes pas attention. Et tout à coup, tu t’aperçois et tu vois que ce que tu fais, tu le fais pour la première fois, d’une façon réelle. […] Toutes ces choses qui se reproduisent sans cesse et auxquelles nous ne pensons jamais. […] En d’autres termes tu fais une vielle chose familière, comme mettre en bouteille le vin de pissenlit, tu l’inscris au chapitre Rites et Cérémonies. En revanche, les réflexions que cela t’inspire, sottises ou non, tu les marques sous la rubrique Découvertes et Révélations. Voici mes conclusions sur le vin : chaque fois que vous le mettez en bouteille, c’est l’été tout entier de 1928 que vous y déposez à l’abri. »
        Le Vin de l’été ressemble davantage aux Chroniques martiennes dans le sens où le livre est davantage un recueil de nouvelles assemblées, où la famille Spaulding permet de faire le lien, bien que de manière distante, avec les divers personnages que nous allons rencontrer. Les débuts formidables de ce livre, qui m’a véritablement enchanté dans ses premières dizaines de pages, sont suivis ensuite par des chapitres plus décousus se focalisant sur les autres habitants de Green Town, bien que Douglas et Tom prennent part, de manière plus ou moins anecdotique, aux événements qui y sont décrits.

Ce recueil de nouvelles donc, bien qu’il n’en soit pas un officiellement, permet à Bradbury d’aborder, à travers des chapitres qui sont relativement indépendants les uns des autres, une multitude de thèmes qui lui sont chers et qui se trouvent également dans ses deux œuvres les plus connues : la nature du bonheur, le pouvoir de la mémoire et des souvenirs, la séparation avec des êtres qui nous sont chers (par leur départ suite à un déménagement, ou plus dramatiquement, par la mort), notre rapport à la nature, l’acceptation de notre mortalité et de notre vieillesse à venir.

Voici maintenant quelques-uns des personnages les plus marquants croisés dans ce livre. Léo Auffmann s’est mis en tête de fabriquer la « machine du bonheur », sur laquelle il va travailler d’arrache-pied plusieurs semaines durant, délaissant au passage sa famille, sa femme et ses six enfants. Sa femme, testant la machine sur l’insistance de son mari, pleure soudainement. C’est une « machine de la tristesse », dit-elle :
« - Oh, c’est la pire chose du monde ! se lamentait Léna. C’est effrayant, terrible. […] D’abord, ce fut Paris… […] Je n’avais jamais pensé, de ma vie, me trouver à Paris. Mais maintenant, tu m’as mis cela dans la tête : Paris ! Instantanément, je veux y être et je sais que je n’y suis pas !
-C’est presque la même chose, grâce à cette machine.
-Non, assise dans cette machine, j’ai pensé et j’ai compris que ce n’était pas vrai. […] Qu’y a-t-il d’autre ? La machine dit : vous êtes jeune. Je ne le suis pas. Elle ment, cette machine de la tristesse ! […] Léo, l’erreur que tu as commise, c’est d’avoir oublié le jour et l’heure où il nous faudrait tous sortir de cette machine pour retourner nettoyer la vaisselle et faire les lits. Aussi longtemps que tu t’y trouves, c’est certain, tu assistes à un coucher de soleil, l’air sent bon, la température est agréable. Ces choses que tu as envie de voir toujours, n’ont pas de fin. […] Et sois franc, Léo, combien de temps peut-on assister à un coucher de soleil ? Qui désire qu’un coucher de soleil dure toujours ? Qui souhaite une température parfaite ? Qui veut que l’air sente toujours bon ? Mieux, remarquerait-on un coucher de soleil plus d’une minute ou deux ? […] De tous temps, nous avons aimé les couchers de soleil parce qu’ils ne se produisent qu’une fois par jour et aussitôt disparaissent.
-Mais, Léna, c’est triste.
-Non, si le coucher de soleil persistait et que nous nous en lassions, c’est cela qui serait vraiment triste. »

Dans un autre épisode, le grand-père Spaulding s’indigne lorsque l’on apprend qu’on lui offre par surprise des graines d’une herbe qui pousse juste ce qu’il faut pour ne pas avoir besoin d’être coupée.
« Votre génération sème le trouble, […] Bill, j’ai honte pour vous, vous, un journaliste. Toutes ces choses, qui sont la vie, ont été déposées en ce lieu pour être aimées, et vous les rejetez. Pour gagner du temps, pour éviter du travail, dites-vous. […] Bill, quand vous aurez mon âge, vous découvrirez que les petites choses, celles qu’on aime, comptent plus que les grandes. Une promenade à pied, un matin de printemps, est plus agréable qu’une course folle en voiture, savez-vous pourquoi ? Parce que tout embaume et que partout vous sentez la sève monter. Vous avez le temps de chercher cela et de le découvrir. […] Il est juste que maintenant de tels riens vous paraissent ennuyeux, mais je me demande si ce n’est pas faute d’avoir appris à en profiter. A persévérer dans votre idée, vous feriez voter une loi qui supprimerait tous les petits travaux et les petites choses de l’existence. Mais alors vous n’auriez plus rien pour combler vos loisirs et il est terrible de penser aux choses que vous devriez faire pour ne pas devenir fou. Au lieu de cela, pourquoi ne pas laisser la nature vous apporter ces petites choses, telles que couper la bonne herbe et arracher la mauvaise ? Cela pourrait être un mode vie, mon garçon. […] Un buisson de lilas a plus de valeur que des orchidées. Même les pissenlits et les mauvaises herbes ! Pourquoi ? Parce qu’ils vous obligent à vous baisser, qu’ils vous détachent, ne fût-ce qu’un moment, des gens et de la ville ; ils vous mettent en sueur et, penchés sur eux, vous vous rendez compte que vous possédez un nouveau nez. Et, lorsque de tout votre être vous réagissez ainsi, pendant un instant vous êtes réellement vous-même ; vous arrivez au fond des choses par la pensée, tout seul. »
        On pourrait dire que Bradbury fait l’éloge de la lenteur, de la patience, du recul, à une époque où déjà la quête frénétique du gain de temps, de la vitesse, etc. commençait à prendre son essor. Quant à aujourd’hui, c’est encore pire, et c’est ce que décrit déjà très bien Bradbury dans le début effrayant de Fahrenheit 451 où presque plus personne ne fait le choix de la patience, du « temps perdu » à méditer, à flâner et se laisser aller au gré de son imagination et de ses sensations, à contempler et à ressentir les choses simples de la vie.

A l’écoute des histoires du colonel Freeleigh, surnommé affectueusement par les amis de Douglas la « machine du temps » pour son extraordinaire mémoire des événements passés, Douglas est sous le charme et en fait part à son frère lors des nombreuses nuits qu’ils passent à remplir le cahier jaune :
« Il [le colonel Freeleigh] est supérieur à toutes les autres machines. Il parle, on écoute ; et plus il parle, plus il vous force à promener votre regard de tous côtés et à remarquer les choses. Il vous dit que vous faites un voyage dans un train très particulier. C’est plus que suffisant, parbleu, cela devient vrai. Il s’est tracé une direction et la connaît. Et à présent, ici même, toi et moi nous le suivons dans cette direction ; mais, en outre, c’est au point que pour regarder, pour flairer, pour se débrouiller des choses qu’on a à faire, on a besoin du vieux colonel Freeleigh pour vous y pousser et vous dire de ne pas vous endormir. C’est le moyen de se rappeler chaque seconde. Chaque événement que le temps emporte est là pour qu’on s’en souvienne ! […] J’ai décidé de passer une grande partie de mon temps à lui rendre visite et à l’écouter, afin de partir en sa compagnie pour des voyages aussi souvent qu’il le pourra. »
Dans un registre similaire, le journaliste Bill Forrester, objet de la colère puis sujet de la leçon du grand-père Spaulding, va rendre visite quotidiennement à Helen Loomis, quatre-vingt quinze ans. Par sa vie de célibataire globe-trotter, Mlle Loomis propose à son jeune ami de l’emmener aux quatre coins du monde à travers ses récits, et mélancoliquement, de l’avoir en sa compagnie durant ses voyages qu’elle a faits seule.
« La voici sur un pont, à regarder les eaux limpides de la Seine, et le voilà qui surgit un moment plus tard à ses côtés, il baisse les yeux sur les flots de l’été qui coulent en contre-bas. La voici qui tient un verre d’apéritif entre ses doigts blancs de talc, et le voici qui, avec une rapidité étonnante, se penche vers elle pour le choquer avec le sien. Il voit son visage se refléter dans la galerie des glaces à Versailles ; et sur les « smôrgasbôrds » à Stockholm ; et ils font le compte des poteaux d’accotement sur les canaux de Venise. Ces voyages qu’elle avait faits seule, maintenant ils les faisaient ensemble. »
        A travers le pouvoir enchanteur des récits et histoires que nous entendons, Bradbury fait l’éloge de la littérature qui nous transporte vers ses « voyages lointains », qui nous fait découvrir des terres inconnues mieux parfois que les voyages physiques que nous faisons. On pense irrésistiblement à l’injonction de Flaubert de « faire le tour du monde » à travers les livres pour stimuler et élargir notre imagination, notre vie.
Enfin, la découverte de Douglas, au début du livre par son « Je suis vivant ! » trouve son pendant inévitable, à savoir l’inéluctabilité de la mort, la condition mortelle de l’homme, que Douglas tentera durant l’épisode de Mme Tarot, de conjurer dans une tentative un peu naïve :
« Tom, voilà plusieurs semaines, j’ai découvert que j’étais vivant. Aussitôt, je me suis mis à sauter de joie. Mais la semaine dernière, simplement, au cinéma, j’ai découvert que je devais mourir un jour. Assurément, je n’avais jamais pensé à cela. […] Alors j’ai pris peur. Aussi je ne sais plus rien d’autre que ceci : je veux aider Mme Tarot. […] et elle m’en sera tellement reconnaissante qu’elle […] Grâce à quoi, je vivrai éternellement ou quelque chose d’approchant. »
Voici cet épisode du cinéma auquel Douglas vient de faire référence :
« Plus jamais il [un cow-boy de cinéma venant de mourir] ne pourrait marcher, courir, rire, pleurer, faire quoi que ce soit. […] A partir de cet instant son corps se refroidissait. Douglas s’était mis à claquer des dents ; c’était de la neige fondue que son cœur faisait battre dans sa poitrine. Fermant les yeux, il s’était laissé aller au bouleversement qui le secouait de part en part. […] En larmes, il s’était précipité dans la cabine des opérateurs. […] Il avait attendu que son mal de cœur lui passe, et pendant ce temps ses pensées continuaient de le harceler : tous ces gens qu’il connaissait et qui étaient morts cet été ! Le colonel Freeleigh, mort ! Je n’en avais pas pris conscience auparavant, pourquoi ? Grand-grand-maman, morte elle aussi. C’étaient des faits on ne peut plus réels. Et il n’y avait pas que cela… Il hésita. « Moi, ils ne peuvent pas me tuer ! » Si, lui répondit une voix, si ! […] Je ne veux pas mourir ! » rugit Douglas sans qu’un son sortit de sa bouche. D’une manière ou d’une autre, cela t’arrivera, dit la voix, cela t’arrivera… […] UN JOUR, MOI, DOUGLAS SPAULDING, JE DEVRAI MOURIR… »
La veuve Hélène Bentley partagera également cette angoisse de la mort, de la vieillesse plus précisément. Elle s’est ingéniée toute sa vie à conserver toutes sortes d’objets, ces « à-côtés et souvenirs de l’existence ». Et c’est la chute d’une canne à virole d’or, lorsque le vent s’engouffre dans sa chambre, reliquat de son mari décédé, qui permettra à Mme Bentley de trouver une certaine paix intérieure avec sa vieillesse et à faire le deuil de sa jeunesse, en entendant la voix de son mari défunt en imagination :
« Ma chérie, tu ne comprendras jamais ce qu’est le temps, n’est-ce pas ? Tu essayes toujours d’être ce que tu étais et non la personne que tu es cette nuit. […] Cela ne résout rien [de conserver tous ces objets].  […] Il est aussi difficile d’essayer d’être ce que tu fus un jour que d’être simplement ce que tu es à l’instant présent. Le temps te fascine. A neuf ans, il faut penser qu’on a neuf ans et qu’on les aura toujours. A trente ans, il semble qu’on les ait toujours eus, que toujours on se soit trouvé sur le rivage plaisant du milieu de la vie. Et lorsqu’on double le cap des soixante-dix ans, c’est pour toujours et à jamais qu’on a soixante-dix ans. Vis dans le présent, tu es prise au piège de ton âge. Jeune ou vieille, tu n’as rien d’autre à considérer. […] Tu n’es ni les dates, ni l’encre, ni le papier. Tu n’es pas ces malles de vieille ferraille et de poussière. Tu n’es que toi, à l’instant même, telle que tu es.
-Dans la matinée, dit-elle à la canne, je […] deviendrai seulement moi-même, et non quelque personne d’une autre année. Oui, c’est cela que je ferai. »

        Les œuvres de Bradbury appartiennent pour moi davantage au registre de la « littérature de sagesse » bien que dans ce livre en particulier, je lui trouve également un talent pour nous faire éprouver, nous faire ressentir les odeurs de la nature, ses sons, sa beauté singulière. L’odeur dominante est bien sûr ce vin de pissenlit auquel le titre fait référence, ce vin de l’été qui permettra à l’avenir à Douglas de réveiller les souvenirs de sa jeunesse et de cet été 1928, « pour faire renaître un peu du miracle qui serait oublié ». Bradbury veut nous aider à élargir notre vie, à prendre conscience plus intensément et plus profondément de ce qui nous entoure, des petites choses et merveilles qu’on laisse trop souvent passer sans nous en rendre compte. Il est également un grand sage de la vie, nous poussant à nous accepter nous-mêmes, ainsi que notre vieillesse et mort à venir. Bradbury nous invite en un mot à vivre plus authentiquement, en paix avec nous-mêmes, et à accepter notre condition mortelle et pour cela, ce livre, malgré quelques petites longueurs (je pense surtout à la fin où le livre s’essouffle quelque peu), est un des plus beaux coups de cœur que j’aie pu lire cette année.

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