« [...] ce n'est qu'en ruminant qu'on s'assimile ce qu'on a lu. » - (Arthur Schopenhauer)

« L'art, c'est se retrouver dans ce que l'on voit ou ce qu'on lit ; c'est quand l'auteur ou le peintre a su formuler mieux que moi ce qui m'arrive ou ce qui m'est arrivé, lorsqu'il l'interprète d'une façon beaucoup plus intelligente que moi, ou quand, grâce à son œuvre, je perçois ma propre vie d'une manière plus fine, plus belle, que moi. » - (Krzysztof Kieślowski)

dimanche 22 août 2021

Le Maître de Santiago, d’Henry de Montherlant : du refus de prostituer son âme.


        Au premier abord, Alvaro, le protagoniste de la pièce et le dit « Maître de Santiago » (un ordre de chevalerie dont le nombre de membres est en chute continue, et les valeurs guère plus respectées dans leur essence), peut paraître un être froid et orgueilleux. Froid car son affection pour sa fille Mariana se manifeste par sa franchise quant à ses rapports distants, souvent lassants avec elle de son point de vue, et orgueilleux car son refus de toute nouvelle action, quels que soient l’éclat, l’honneur ou les richesses qui lui sont promis, est perçu négativement comme un retrait davantage motivé par l’orgueil, la fierté ou l’amour-propre, dans un élan de vertu religieuse simulé qui viserait à hausser encore davantage sa réputation, à l’image de ce que La Rochefoucauld théorise sur l’origine orgueilleuse qui se dissimule majoritairement derrière nos qualités et bonnes actions. C’est ainsi cette froideur, cette absence de sentiment couplées à son orgueil qui lui sont reprochés lorsqu’Alvaro refuse catégoriquement de partir et de prendre part à la conquête du Nouveau Monde, qui lui permettraient de s’enrichir et de doter sa fille de manière avantageuse, elle que son « ami » Bernal souhaite marier à son propre fils, Jacinto, mais qui s’inquiète du manque de fortune des futurs mariés.

         Ces deux accusations néanmoins semblent peu fondées, lorsque l’on se penche plus en profondeur sur ce qui motive Alvaro dans son inaction : à savoir le refus de prostituer son âme, la volonté de la garder la plus pure possible de toute tache, de toute action infâmante et déshonorante. Alvaro n’est pas un homme qui refuse toute action : c’est ainsi que dans sa jeunesse, il a activement participé à la reconquête de l’Espagne car cette cause lui semblait juste et honorable, à savoir la sauvegarde de l’identité chrétienne de l’Espagne menacée par l’envahisseur maure. Mais l’action qui lui est proposée, à savoir la conquête de l’Amérique, lui semble d’une toute autre nature, et au final une action infâmante qui ne pourrait que ternir ce qui lui est le plus cher, à savoir son âme, sa conscience envers lui-même et Dieu, qui lui est plus chère que tout au monde, y compris sa fille. Et puis son inaction est-elle si condamnable ? Alvaro du moins refuse de prendre part à ce qu’il perçoit comme une déchéance de son propre pays, qui s’embourbe dans des désirs de conquête et de richesses qui auront pour conséquence, selon lui, de la corrompre moralement et par provoquer sa propre chute future, et les événements postérieurs lui donneront raison. Ainsi, l’inaction d’Alvaro peut être vue non comme une forme de lâcheté ou d’orgueil mal placé, mais comme une forme de résistance héroïque, bien que passive, les pressions s’exerçant sur lui se faisant croissantes au fil de la pièce.

D’autre part, l’accusation d’égoïsme froid qui est formulé à l’égard d’Alvaro vis-à-vis de sa fille Mariana permet à Montherlant de démonter et ridiculiser quelque peu nombre de conventions théâtrales et littéraires : à savoir le dénouement heureux ponctué par le mariage des jeunes amoureux, l’obstacle, majoritairement, qu’est l’opposition ou la résistance des parents, les conventions sentimentales, mièvres de l’amour.
Alvaro est d’une franchise directe, qui peut paraître brutale, dans ses rapports avec sa fille : il a pour elle certes de l’affection, mais il ne cache pas les désagréments que son éducation et sa vie avec elle lui ont causés et lui causent toujours. Il répugne à s’enrichir en vue de la doter, pointant l’hypocrisie de la convention voulant que la richesse équivaut au bonheur, mais surtout le moyen déshonorable avec lequel une telle dot serait constituée. Alvaro est loin d’être un de ces avares qui, en raison de leur vice, comme on le voit dans moult pièces de Molière, refuse de doter leur progéniture : s’il n’est pas riche, c’est parce que la richesse en elle-même lui paraît un vice, ou du moins une chose superflue, gaspilleuse de temps, par rapport à son âme et au maintien de la grandeur de cette dernière, qui est la chose la plus importante à ses yeux. Et la froideur, le supposé manque de sentiments d’Alvaro, se trouveront démentis lorsque ce dernier aimera et rendra hommage sincèrement à sa fille lorsqu’elle lui prouvera par une action sublime qu’elle est effectivement digne d’être aimée et d’être son égale.

Ainsi Alvaro n’est pas un être égoïste, dénué de tout sentiment, ou s’enorgueillissant de sa retraite religieuse : c’est d’abord un être qui place au-dessus de tout sa propre âme, sa conscience vis-à-vis de lui-même, son honneur, son intégrité. S’il paraît détaché, orgueilleux, c’est moins par une attitude hautaine mais par le constat amer et désenchanté que la société espagnole ne cesse de se déshonorer, de déchoir de ses valeurs chrétiennes dont elle se proclame mais qu’elle viole dans les faits, et qu’elle est condamnée par conséquent à moyen et long terme. Il est seul, isolé, dans sa volonté farouche d’être fidèle à ses valeurs, à ses principes, et n’accorde son estime, son affection qu’en fonction de la fidélité des autres à ces valeurs et principes qui lui sont essentiels. Les « amis » d’Alvaro n’en sont guère, eux qui le poussent à l’action déshonorante et à servir un roi moralement corrompu. Mariana seule se montrera digne de lui, et Alvaro saura lui rendre justice et reconnaître la grandeur lorsqu’elle se manifeste à ses yeux, ce qui tend à prouver qu’il n’est pas emmuré dans un orgueil aveugle et vain auquel il eût pu prêter le flanc à ceux le jugeant hâtivement.


Ci-dessous, une moisson particulièrement riche des citations marquantes de la pièce, regorgeant de considérations morales intéressantes :

Pour mon père, seul est important, ou plutôt seul est essentiel, ou plutôt seul est réel ce qui se passe à l’intérieur de l’âme. (p. 482, I, 2)

TIA CAMPANITA : Amoureuse comme vous l’êtes !
MARIANA : Je ne me sens plus amoureuse quand je vous entends dire que je le suis. (p. 483, I, 2)

Savez-vous ce que me rappelle cette neige ? Certaine scène d’une chanson de geste allemande. Un chevalier, de l’Ordre Teutonique je crois, se tient debout devant le pont-levis haussé d’un château fort. La tête basse, humblement, sous la neige qui tombe, il attend qu’on descende le pont-levis, car il vient payer la rançon de sa petite fille, retenue prisonnière dans le château. Les heures s’écoulent ; on ajourne d’heure en heure de le recevoir ; on le brocarde, la valetaille lui jette des boules de neige et des os rongés ; et il attend toujours. Lui, le superbe, lui, le féroce, la terreur de ses ennemis, il supporte tout, parce que c’est pour sa petite fille… (p. 484-485, I, 4)

BERNAL : Est-ce que le chevalier teutonique, devant le pont-levis du château, n’acceptait pas tout pour sauver sa petite fille ?
ALVARO : Il acceptait des blessures. Il n’aurait pas accepté de ternissure. (p. 501, II, 1)

La victoire est assurée, mais elle ne vaut pas la peine d’être remportée. (p. 486, I, 4)

Tout officier qui est prisonnier sur parole, et qui s’enfuit, si forte raison qu’il en puisse donner, n’est pas un homme d’honneur. (p. 487, I, 4)

Un jour, l’Espagne fut affreusement vaincue, envahie tout entière par les Mores. Tandis que la majorité de la population acceptait le joug de l’occupant, une poignée d’hommes de l’armée défaite, réfugiée dans la montagne, commençait contre les envahisseurs une lutte qui, gagnant pied à pied, au cours de huit siècles, aboutissait […] à la libération totale du territoire. Le peuple avait poursuivi tout seul la libération, abandonné à lui-même, sans le secours de ses maîtres, et quelquefois trahi par eux. (p. 488, I, 4)

Roule, torrent de l’inutilité ! […] dans toutes ces histoires de conquêtes, je me sens en plein ridicule. (ibid.)

Je n’ai soif que d’un immense retirement. […] je sais quelle gêne un homme qui n’a nulle ambition peut causer dans une société. […] J’attends que tout finisse. […] J’aime d’être méconnu. […] (p. 489, I, 4)

Une guerre sainte ? Dans une guerre de cette espèce, la cause qui est sainte, c’est la cause des indigènes. Or, la chevalerie est essentiellement la défense des persécutés. Si j’allais aux Indes, ce serait pour protéger les Indiens, c’est-à-dire, selon vous, pour « trahir ». Sans doute connaissez-vous l’histoire de ce soldat espagnol qui a été pendu comme traître, parce qu’il avait donné des soins à un Indien blessé. Cela est encore pire que les pires cruautés. […] je sais que c’est au cri de « Santiago ! » que l’on commet les plus odieuses infamies. Je sais que lorsque Ovando attira dans un guet-apens l’innocente et confiante reine des Indiens de Xaragua, qui ne nous voulait que du bien, le signal du forfait fut qu’il portât la main sur sa décoration de chevalier d’Alcantara, qui représentait Dieu le Père : la Reine fut pendue et les caciques brûlés vifs. Ce que notre chevalerie couvre, au Nouveau Monde, il n’y a pas de mots assez forts pour dire le haut-le-cœur que j’en ai. (p. 489-490, I, 4)

La gloire de l’Espagne a été de réduire un envahisseur dont la présence insultait sa foi, son âme, son esprit, ses coutumes. Mais des conquêtes de territoires ? Cela est tellement puéril… Et tellement absurde. Vouloir changer quelque chose dans des territoires conquis, quand il est si urgent de réformer la patrie elle-même, c’est comme vouloir changer quelque chose dans le monde extérieur, quand tout est à changer en soi. Et tellement vain. Les princes s’occupent à gagner de nouvelles possessions, qu’ils ne sauront pas comment administrer, ni comment défendre, qui, loin de leur donner de la force, les affaibliront, et qu’enfin ils perdront piteusement, après en avoir reçu un comble d’ennuis.
[…] Tout ce qui a trait au Nouveau Monde est impureté et ordure. Le Nouveau Monde pourrit tout ce qu’il touche. Et l’horrible maladie que nos compatriotes rapportent de là-bas n’est que le symbole de cette pourriture. Plus tard, quand on voudra honorer un homme, on dira de lui : « Il n’a pris part en rien aux affaires des Indes. » (p. 490, I, 4)

Mais oublions la cause du mal. D’où qu’il provienne, il y a un état de l’Espagne auquel je veux avoir le moins de part possible. L’Espagne est ma plus profonde humiliation. Je n’ai rien à faire dans un temps où l’honneur est puni, - où la générosité est punie, - où la charité est punie, - où tout ce qui est grand est rabaissé et moqué, - où partout, au premier rang, j’aperçois le rebut, - où partout le triomphe du plus bête et du plus abject est assuré. Une reine, l’Imposture, avec pour pages le Vol et le Crime, à ses pieds. L’Incapacité et l’Infamie, ses deux sœurs, se donnant la main. Les dupeurs vénérés, adorés par leurs dupes… (p. 491, I, 4)

Debout sur le seuil de l’ère nouvelle, je refuse d’entrer. […]
Je suis fatigué de ce continuel divorce entre moi et tout ce qui m’entoure. Je suis fatigué de l’indignation. J’ai soif de vivre au milieu d’autres gens que des malins, des canailles, et des imbéciles.
Avant, nous étions souillés par l’envahisseur. Maintenant, nous sommes  souillés par nous-mêmes ; nous n’avons fait que changer de drame. Ah ! pourquoi ne suis-je pas mort à Grenade, quand ma patrie était encore intacte ? Pourquoi ai-je survécu à ma patrie ? Pourquoi est-ce que je vis ? (p. 492, I, 4)

Aujourd’hui, tout ce qu’il y a de bien dans notre pays se tait. Il y a un Ordre du Silence : de celui-là aussi je devrais être Grand Maître. (p. 492, I, 4)

Savez-vous ce que c’est que la pureté ? Le savez-vous ? Regardez notre manteau de l’Ordre : il est blanc et pur comme la neige au dehors. L’épée rouge est brodée à l’emplacement du cœur, comme si elle était teinte de sang de ce cœur. Cela veut dire que la pureté, à la fin, est toujours blessée, toujours tuée, qu’elle reçoit toujours le coup de lance que reçut le cœur de Jésus sur la croix. […]  Oui, les valeurs nobles, à la fin, sont toujours vaincues ; l’histoire est le récit de leurs défaites renouvelées. Seulement, il ne faut pas que ce soit ceux mêmes qui ont pour mission de les défendre, qui les minent.
[…] Moi, mon pain est le dégoût. Dieu m’a donné à profusion la vertu d’écœurement. Cette horreur et cette lamentation qui sont ma vie et dont je me nourris… Mais vous, pleins d’indifférence ou d’indulgence pour l’ignoble, vous pactisez avec lui, vous vous faites ses complices ! (p. 493, I, 4)

Il y a encore des monstres. Jamais il n’y en eut tant. Nous en sommes pressés, surplombés, accablés. Là… là… là… Malheur aux honnêtes ! […] Malheur aux meilleurs… (p. 494, I, 4)

Jeunesse : temps des échecs. (p. 495, I, 5)

Les jeunes gens n’ont l’audace de rien, ni le respect de rien, ni l’intelligence de rien. À eux les expéditions maritimes, c’est bien ce qu’il leur faut. Mais les hautes aventures sont pour les hommes de notre âge, et les hautes aventures sont intérieures. (p. 495, I, 6)

Ô mon âme, existes-tu encore ? Ô mon âme, enfin toi et moi ! (p. 495, I, 7)

Tant de choses ne valent pas d’être dites. Et tant de gens ne valent pas que les autres choses leur soient dites. Cela fait beaucoup de silence. (p. 497, II, 1)

Vous ne savez pas à quel point je suis affamé de silence et de solitude : quelque chose de toujours plus dépouillé… Tout être humain est un obstacle pour qui tend à Dieu. Les mouvements que Dieu me fait la grâce de mettre en moi, je ne puis les percevoir que dans une abstraction complète, comme ceux qui écoutent la musique les yeux fermés. Ce qu’il me faudrait, ce sont des journées vides, si vides… Tout ce qui y entrerait, et l’amitié même, et l’affection surtout, n’y entrerait que pour les troubler. (ibid.)

Je lui ai appris un peu d’histoire : elle saura comment les empires meurent. (p. 498, II, 1)

Les enfants dégradent. Nous ne nous voyions qu’aux repas, et de chacun de ces repas je sortais un peu diminué. Jeune fille, sa vie est devenue quelque chose qu’il fallait prendre au sérieux, et qui cependant ne m’intéressait pas. […] Agacé ? Non. Fatigué. L’effort que je faisais, par charité pour elle, pour paraître m’intéresser à cette vie si étrangère à la mienne, m’épuisait. (ibid.)

Avec un peu plus d’amour je voudrais la diriger, je m’irriterais lorsqu’il me semblerait qu’elle est dans la mauvaise voie, ou inférieure à ce que j’attends d’elle. Au contraire, l’aimant raisonnablement, je ne lui demande rien, ne lui reproche rien, nous ne nous heurtons jamais. Et puis, […] je ne suis pas de ceux qui aiment leur pays en dépit de son indignité : j’aime l’Espagne en proportion de ses mérites, exactement comme je ferais pour un pays étranger. De même, que Mariana soit ma fille ne me rendra jamais exagéré en sa faveur. (p. 499, II, 1)

Je suis sévère pour ceux qui offensent mes principes, même quand ils sont de mes amis. Et indulgent pour ceux qui m’offensent en tant qu’homme. (ibid.)

Ainsi, ce que je suis aux yeux de Dieu, ce que je suis à mes propres yeux, devrait être compromis, devrait être ruiné à cause de quelque chose qui n’existe que par un de mes instants de faiblesse ! (p. 500, II, 1)

On aimait l’or parce qu’il donnait le pouvoir et qu’avec le pouvoir on faisait de grandes choses. Maintenant on aime le pouvoir parce qu’il donne l’or et qu’avec cet or on en fait de petites. (p. 502, II, 1)

J’ai été élevé à apprendre qu’il faut volontairement faire le mauvais marché. Qu’il ne faut pas se baisser pour ramasser un trésor, même si c’est de votre main qu’il s’est échappé. Qu’il ne faut jamais étendre le bras pour prendre quelque chose. Que c’est cela, et peut-être cela plus que tout, qui est signe de noblesse. J’ai la douleur d’entendre dire qu’à l’heure où l’aigle du roi Charles n’a de serres que pour aller chercher l’or, fût-ce dans des entrailles humaines, c’est chez les Indiens qu’on retrouve cette haute et sainte indifférence à l’égard des choses d’ici-bas. (ibid.)

Non, vous ne me ravirez pas ma pauvreté ! Déjà je vis dans une distraction perpétuelle de l’unique nécessaire. Et il faudrait que je passe du temps – un temps qui pourrait être employé aux affaires de mon âme – dans les soucis répugnants d’une fortune à administrer ! Je ne veux pas qu’on me dépouille de mon âme ! […] Je ne veux pas être riche ! J’aurais trop honte. (ibid.)

Quand j’agis ou réagis en chrétien, je devrais être entendu de milliards d’hommes. Mais c’est alors que je ne suis entendu de personne. Parfois il me semble que tout ce qui se passe en moi se passe si loin de toute compréhension humaine. (p. 503, II, 1)

Je ne tolère que la perfection. (ibid.)

Il n’y a de famille que par l’élection et l’esprit ; la famille par le sang est maudite. (p. 504, II, 1)

Bien entendu, vous croyez sans doute que vous êtes seule au monde à aimer, que vous contenez l’univers, etc. Cependant qu’est-ce que vous êtes ? Vous êtes une petite singesse, rien de plus. Et tout cet amour entre hommes et femmes est une singerie. Sachez que vous êtes enfoncée en pleine grimace, en plein ridicule, et en pleine imbécillité. (p. 505, II, 2)

Mon père est un homme d’une droiture exceptionnelle. C’est là son seul luxe, mais c’est un luxe qu’on paye cher. (p. 506, II, 3)

Il n’y a nulle affectation en mon père. Il va droit devant lui. Son salut propre, et l’Ordre, voilà sa voie : à droite et à gauche, rien. Son indifférence écrasante pour tout ce qui ne porte pas quelque marque sublime… (p. 507, II, 3)

Je ne voudrais pas une vie facile. Je voudrais une vie où l’on aurait besoin de courage. (p. 508, II, 3)

MARIANA [au sujet de son potentiel fiancé, Jacinto, le fils de Bernal] Mais croyez-vous qu’il discerne bien ce qui est important et ce qui ne l’est pas ? Car c’est cela qui est essentiel : ne donner qu’à l’un, et s’y tenir durement. (ibid.)

Allez, je sais comment on s’élève dans le monde : en foulant à chaque marche quelque chose de sacré. (p. 511, III, 1)

Avila elle-même, toute recouverte de neige, est plus que jamais la cité du recueillement. C’est le meilleur berceau pour les grandes choses. […] la germination se fait dans un profond silence, enfouie, insoupçonnée de tous. (p. 513, III, 3)

C’est un honneur que d’être oublié par une époque telle que la nôtre : le parfait mépris souhaite d’être méprisé par ce qu’il méprise, pour s’y trouver justifié. Puisse mon nom être comme ces grands nuages qu’un peu d’heures efface. (ibid.)

Que voulez-vous qu’on désire quand tout est déshonoré ? (p. 514, III, 3)

SORIA : […] les vieux, souvent, avec des apparences saintes, ont le cœur dur et orgueilleux.
ALVARO : Ce peut être aussi le détachement qui, tenant la tête haute, paraisse être de l’orgueil, alors que la vile convoitise se courbe vers la terre. Partez, Monsieur : votre univers n’est pas le nôtre. (p. 516, III, 4)

Tu faisais ton cours le long du mien dans les ténèbres ; je ne l’entendais même pas couler. Et puis, tout d’un coup, nos eaux se sont confondues, et nous roulons vers la même mer. (p. 517, III, 5)

La générosité, c’est toujours le sacrifice de soi ; il en est l’essence. (p. 518, III, 5)

Dieu ne veut ni ne cherche : il est l’éternel calme. C’est en ne voulant rien que tu refléteras Dieu. […] Et maintenant, partons pour un pays où il n’y a plus de honte, partons du vol des aigles, mon petit chevalier ! Quel voyage nous avons à accomplir, auprès duquel celui des Indes apparaît tellement sordide et grotesque ! (p. 519, III, 5)

Infinité ! Ô Infinité ! (Un long temps) Quel silence ! Le silence de la neige. Je n’ai jamais entendu un tel silence dans Avila. On dirait qu’il n’y a plus que nous deux sur la terre. (ibid.)

Si je fais mon salut et si tu fais le tien, tout est sauvé et tout est accompli.
MARIANA : Tout est sauvé et tout est accompli, car j’aperçois un Être au regard fixe, qui me regarde d’un regard insoutenable. (p. 520, III, 5)

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