1/ Alternant entre « guerre » et « paix » après une deuxième partie entièrement consacrée à la « guerre », cette troisième partie se focalise tour à tour sur les événements amenant le mariage de Pierre, ceux autour du projet de mariage avorté chez les Bolkonski, et enfin ceux précédant puis ayant cours durant la célèbre bataille d’Austerlitz (novembre-décembre 1805). Mais au-delà de cette alternance somme toute classique, attendue, entre chapitres consacrés à la guerre puis à la paix, Tolstoï mêle parfois également la guerre, ou plutôt fait surgir une scène de paix au milieu de celle-ci dans un passage semble-t-il anodin : il y décrit plusieurs scènes de la vie paysanne en temps de paix là où, dans le présent du récit, se déroule désormais une bataille sanglante. Cela n’est pas sans rappeler un procédé courant dans L’Iliade, où Homère fait régulièrement des descriptions similaires lors de la biographie brève des guerriers tombés au combat, ou lors de la célèbre description du bouclier d’Achille. Par le contraste violent entre la guerre et cette brève scène de description de paisibles occupations, la paix et les occupations en apparence ordinaires des hommes semblent comme acquérir plus de prix, plus de valeur, plus de beauté, puisqu’on se rend compte de leur caractère temporaire, fragile, précaire.
Sur l’étroite digue d’Augest, où pendant tant d’années le vieux meunier en bonnet de coton avait paisiblement pêché à la ligne, tandis que son petit-fils, les manches de chemise retroussées, triait dans un arrosoir les poissons argentés et frétillants ; sur cette digue où, pendant tant d’années, des Moraves en bonnets pelucheux et en vestes bleues étaient paisiblement passés avec leurs chariots attelés de deux chevaux et chargés de blé, pour les ramener ensuite tout blancs et revenir eux-mêmes enfarinés ; sur cette étroite digue, parmi les fourgons et les canons, sous les sabots des chevaux et entre les roues, se pressaient maintenant des hommes défigurés par la peur de la mort qui s’écrasaient les uns les autres, mouraient, enjambaient les mourants et s’entre-tuaient, avec pour seul résultat de trouver exactement la même mort, quelques pas plus loin. (p. 484, chap. XVIII)
2/ Les Kouraguine sont au cœur de la partie « paix », et surtout le prince Vassili, patriarche de la famille, qui parvient avec succès à marier sa fille Hélène à Pierre, profitant de la naïveté de ce dernier, mais échoue de peu à marier son fils Anatole à la princesse Maria Bolkonski, la sœur du prince André. Dans la partie se concentrant sur Pierre, Tolstoï choisit, comme il le fait souvent, d’adopter uniquement le point de vue de Pierre : ainsi, Tolstoï ne dit jamais explicitement que Pierre est manipulé par le prince Vassili et Anna Scherer, mais les présente tels que Pierre les perçoit, dans leur attitude subitement changée et bienveillante vis-à-vis de lui. Il a utilisé un tel procédé dans Anna Karénine, avec la scène du bal uniquement perçue du point de vue de Kitty, puis la visite d’Anna à son fils uniquement perçu à travers les yeux de ce dernier. Par ce procédé, Tolstoï joue de la dichotomie, assez traditionnelle, entre les apparences et la vérité, pour mieux faire voir l'étrangeté des choses si l’on se place du point de vue d’un personnage naïf, ne comprenant pas totalement ce qui se passe autour de lui et subissant, étant l’objet d’événements qui échappent à sa compréhension et auxquels il réagit de manière inappropriée en conséquence. Ainsi, Pierre, en raison de sa naïveté, lui qui découvre encore le monde de la haute société russe, ne perce pas à jour les intentions malveillantes et intéressées dont il est devenu le centre d’attraction. Jugeant les autres par rapport à son propre cœur, une erreur commune à ceux ayant un cœur bon mais inexpérimenté, Pierre voit de la gentillesse, de l’attention, une reconnaissance de son mérite dans le brusque changement d’attitude dont il est l’objet par les milieux mondains, alors qu’un esprit plus lucide eût facilement discerné derrière ce changement un intérêt et une hypocrisie certains.
Il dut […] recevoir une foule de gens qui jusqu’alors voulaient ignorer son existence mais qui maintenant auraient été blessés et peinés s’il avait refusé de les voir. Tous ces personnages divers – hommes d’affaires, parents, connaissances – étaient unanimement bien disposés à l’égard du jeune héritier ; ils étaient tous, manifestement et indiscutablement, convaincus des hautes qualités de Pierre. Il entendait sans cesse dire : « Avec votre rare bonté », ou « Avec votre excellent cœur », ou « Vous êtes si pur, comte… », ou encore : « S’il était aussi intelligent que vous », etc., si bien qu’il commençait à croire sincèrement à sa rare bonté et à sa rare intelligence, d’autant plus qu’il lui avait toujours semblé qu’il était en effet très bon et très intelligent. » (p. 352, chap. I)
Il se sentait le centre d’un mouvement général important ; il sentait qu’on attendait sans cesse de lui quelque chose ; que s’il ne le faisait pas, il affligerait beaucoup de gens et les priverait de ce qu’ils attendaient, et que s’il le faisait il en résulterait un bien, et il faisait ce qu’on exigeait de lui, mais ce quelque chose de bien n’arrivait jamais. (p. 354, chap. I)
3/ À plusieurs reprises, Pierre commet surtout l’erreur de croire qu’il ne doit pas décevoir les attentes de ses « nouveaux amis », et que le mariage avec Hélène est par conséquent nécessaire, inéluctable, car il se doit de respecter les codes implicites de la société. À cela s’ajoute également, pour brouiller son jugement et amener le mariage malheureux de Pierre, son attirance sensuelle pour Hélène, qui n’hésite pas à jouer de ses attributs physiques avantageux pour séduire le richissime héritier. La « raison » de Pierre, pourtant, pressent qu’Hélène n’est guère une femme qui le rendra heureux, et elle le paralyse lors de sa pitoyable demande en mariage, que le prince formule à sa place, et au cours laquelle il a tant de mal à dire ce qui est « convenu », à savoir déclarer sincèrement son amour pour Hélène, ce qui contrastera plus tard dans le roman avec sa déclaration spontanée, si émouvante, envers Natacha à la fin de la cinquième partie du livre deuxième. Comme il en a l’habitude, Tolstoï décrit subtilement la conscience tiraillée de Pierre, qui se convainc de la bonté d’Hélène, tout comme déjà, plus tôt dans le roman, il avait déjà décrit la bataille intérieure de Pierre qui, venant de promettre au prince André qu’il éviterait à l’avenir les fréquentations douteuses auxquelles il s’est habitué, brise très rapidement cette promesse en se cherchant des raisons spécieuses.
Elle [Hélène] portait, comme toujours pour les soirées, une robe largement décolletée devant et dans le dos, à la mode d’alors. Son buste, qui paraissait toujours à Pierre taillé dans le marbre, se trouvait si près de ses yeux que de son regard de myope il distinguait malgré lui le charme vivant de ses épaules et de son cou, et si près de ses lèvres qu’il lui eût suffi de se pencher un peu pour les effleurer. Il sentait la tiédeur de son corps, il respirait les effluves de son parfum et entendait le craquement de son corset lorsqu’elle faisait un mouvement. Ce n’était pas sa beauté marmoréenne faisant un tout avec sa robe qu’il voyait, il voyait et sentait tout le charme de son corps que ne dissimulaient que ses vêtements. Et, ayant vu cela, il ne pouvait plus la voir autrement, comme on ne peut retomber dans une erreur une fois qu’on a été détrompé. […] Pierre baissa les yeux, les releva et voulut la revoir comme cette beauté qu’il voyait chaque jour auparavant, aussi lointaine, aussi étrangère ; mais il ne le pouvait plus. Il ne le pouvait plus, comme celui qui, prenant dans le brouillard un brin d’herbe pour un arbre, ne peut plus, une fois son erreur reconnue, y voir de nouveau un arbre. Elle lui était terriblement proche. Elle avait déjà du pouvoir sur lui. Et entre eux il n’y avait plus d’autres obstacles que ceux de sa propre volonté à lui. (p. 358-359, chap. I)
Mais elle est sotte, je disais moi-même qu’elle était sotte, pensait-il. Il y a quelque chose de bas dans le sentiment qu’elle a éveillé en moi, quelque chose de défendu. […] Tout cela n’est pas bien », pensait-il ; et en même temps qu’il raisonnait ainsi (son raisonnement restait inachevé), il se surprenait à sourire et se rendait compte que d’autres raisonnements émergeaient de derrière les premiers, que tout en pensant à la médiocrité d’Hélène il rêvait qu’elle serait sa femme, qu’elle pourrait l’aimer, qu’elle était peut-être tout autre et que tout ce qu’il pensait et ce qu’on disait à son sujet était peut-être faux. Et de nouveau il voyait non pas la fille du prince Vassili, il revoyait tout son corps à peine voilé par sa robe grise. […] son image à elle émergeait d’un autre recoin de son âme, dans toute sa beauté de femme. (p. 360-361, chap. I)
4/ Le second projet de mariage du prince Vassili ne connaîtra pas la même issue heureuse, Maria décidant au final de ne pas épouser Anatole, bien qu’elle eût ressenti une forte attirance pour ce dernier. Tolstoï fait la transition entre l’arc Pierre-l’arc Maria en mettant en évidence dès le début du second le caractère manifestement intéressé de la visite du prince Vassili , facilement percé à jour par le vieux prince Bolkonski. Ce dernier est irrité de constater que sa fille tombe si facilement sous le charme d’Anatole alors qu’il voit rapidement que ce dernier n’aime guère Maria et, au contraire, lorgne Mlle Bourienne, la dame de compagnie française de Maria. Il est intéressant de spéculer sur ce que Maria eût décidé si elle n’avait pas surprise Mlle Bourienne et Anatole dans une situation ne laissant guère de doute sur les intentions réelles d’Anatole. Il est probable qu’elle l’eût refusé au regard de la désapprobation manifeste de son père, bien que ce dernier ne lui eût pas dit explicitement et lui eût laissé le choix de décider elle-même son propre avenir. Cet arc permet surtout de développer Maria, qui bien que très religieuse et morale, n’en est pas moins une femme avec ses désirs et ses passions, en particulier son besoin d’amour et d’être aimée, ses rêves naïfs mais touchants de bonheur matrimonial, sa souffrance de se savoir laide, peu attirante, du fait de son physique ingrat à des yeux extérieurs et superficiels (sa beauté, rappelons-le, résidant essentiellement dans ses yeux, reflets de sa bonté d’âme). Tolstoï navigue avec empathie et compréhension entre les sentiments des trois femmes isolées que sont Maria, Mlle Bourienne et Lise, et l’exacerbation de leur sensibilité lorsqu’un bel homme en la personne d’Anatole surgit dans leur foyer, cristallisant toutes leurs espérances et rêves inassouvis.
Avant de descendre, elle se leva, entra dans son oratoire et, les yeux posés sur la face noire d’une grande icône du Sauveur éclairée par la veilleuse, elle demeura quelques instants devant elle, les mains jointes. Un doute la torturait. Les joies de l’amour, de l’amour terrestre pour un homme, étaient-elles possibles pour elle ? En pensant au mariage, elle rêvait et au bonheur familial, et aux enfants, mais son rêve principal, le plus fort et le plus secret, était l’amour terrestre. Ce rêve était d’autant plus puissant qu’elle s’efforçait de le dissimuler aux autres et même à soi. « Mon Dieu, disait-elle, comment étouffer dans mon cœur ces pensées pour accomplir en paix Ta volonté ? » Et à peine avait-elle posé cette question que Dieu lui répondait déjà dans son cœur : « Ne désire rien pour toi, ne cherche pas, ne te trouble pas, n’envie personne. L’avenir des hommes et ton destin doivent te demeurer inconnus ; mais vis de façon à être prête à tout. S’il plaît à Dieu de t’éprouver par les devoirs du mariage, sois prête à te soumettre à Sa volonté. » Sur cette pensée réconfortante (mais malgré tout avec l’espoir que son rêve terrestre, défendu, s’accomplirait), la princesse Maria poussa un soupir, se signa et descendit sans penser ni à sa robe, ni à sa coiffure, ni à la manière dont elle entrerait et à ce qu’elle dirait. Que pouvait peser tout cela au regard des desseins de Dieu sans la volonté de qui pas un cheveu ne tombe de la tête de l’homme ? (p. 380-381, chap. III)
Ainsi qu’il en est toujours pour des femmes solitaires depuis longtemps privées de la société des hommes, les trois femmes de la maison du prince Nicolas Andreitch avaient senti, dès l’apparition d’Anatole, que leur vie jusque-là n’avait pas été une vie. Le pouvoir de penser, de sentir, d’observer en fut instantanément décuplé chez toutes les trois, et ce fut comme si leur vie, qui jusque-là s’était déroulée dans les ténèbres, s’éclairait soudain d’une lumière nouvelle, pleine de sens. (p. 387-388, chap. IV)
5/ Les Kouraguine il est vrai n’apparaissent guère sympathiques aux yeux du lecteur, en raison de leur obsession de la fortune et leurs différentes manœuvres en vue de faire un riche mariage. Tolstoï néanmoins prend le temps de nous présenter la manière dont ils voient et perçoivent le monde, en particulier pour les deux membres masculins de la famille sur lesquels il s’attarde plus particulièrement : le prince Vassili, qui en homme du monde, est pour ainsi dire « naturel » dans la manière dont il échafaude ses plans et place ses pions pour marier ses enfants (début du chap. I). Et ces derniers qui tirent profit de leur beauté avantageuse naturelle pour vivre agréablement, bien qu’ils n’aient guère d’esprit et de cœur. Anatole en particulier paraît particulièrement odieux, lui qui s’amuse à séduire les trois femmes présentes dans la maison Bolkonski, et sait le pouvoir et le charme qu’il exerce sur la plupart des femmes du monde grâce à son physique très avantageux, qui donne à Maria l’illusion que cette beauté est aussi un signe de ses qualités de cœur qu’elle lui prête.
Il [Anatole] voyait sa vie comme une fête ininterrompue que, on ne sait pourquoi, quelqu’un s’était engagé à organiser pour lui. Il regardait de même sa visite chez le méchant vieillard et la riche et laide héritière. Tout cela pouvait, croyait-il, tourner très bien et d’une façon amusante. « Et pourquoi ne l’épouserais-je pas puisqu’elle est très riche ? Ce n’est jamais un mal », se disait-il. (p. 376, chap. III)
Quoique, dans la société des femmes, Anatole affectait généralement l’attitude d’un homme excédé par leurs poursuites, il ressentait un plaisir vaniteux à voir l’influence qu’il exerçait sur ces trois femmes-là. En outre, il commençait à éprouver pour la jolie et provocante Bourienne ce désir bestial qui s’emparait de lui avec une rapidité extraordinaire et le poussait aux actes les plus brutaux et les plus aventureux. (p. 389, chap. IV)
6/ En ce qui concerne la partie « guerre » de cette partie, il est tout d’abord intéressant de voir comment la célèbre bataille d’Austerlitz est vécue du côté des alliés européens coalisés contre Napoléon. L’aspect le plus frappant des jours, des heures précédant l’écrasante victoire française est paradoxalement la confiance qui habitait le camp allié, sûr de sa force et de sa victoire future, ainsi que de la faiblesse de l’ennemi. Tolstoï décrit l’exaltation notamment des troupes russes, galvanisées par la présence de l’empereur, qui leur procure un sentiment irrationnel d’invincibilité, ainsi que par leur supériorité numérique grâce aux renforts venus de Russie. En parallèle, l’arrogance et l’excès de confiance sont surtout du côté des généraux et officiers supérieurs, confiants dans l’infaillibilité de leurs plans et prédictions, et sous-estimant les possibles aléas et l’intelligence de Napoléon. Seul ou presque parmi cet optimisme démesuré, Koutouzov fait partie des « temporisateurs », partisans de la prudence en l’absence de connaissance claire de la position des forces ennemies. Impuissants, Koutouzov et le prince André rejouent le rôle éternel de Cassandre dont on n’écoute pas les conseils, et l’aveuglement des officiers, leur mépris et dédain envers les voix minoritaires appelant à la prudence, leur volonté de briller auprès du tsar, amèneront les troupes alliées au désastre d’Austerlitz, bataille au cours de laquelle, pensant l’ennemi loin à l’avant, ils négligent la possibilité d’une bataille prématurée et découvrent imprudemment leur position stratégique au sommet du plateau de Platzen. Tolstoï détaille entre autres les ruses de Napoléon, faisant retraite et donnant l’illusion aux alliés qu’il est en position de faiblesse en raison des rapides et courtes batailles remportées par ces derniers, ou en proposant des pourparlers de paix au tsar.
Tous les officiers du grand quartier étaient encore sous le charme de la séance qui avait été un triomphe pour le parti des jeunes. Les voix des temporisateurs, qui conseillaient d’attendre Dieu sait quoi encore avant de passer à l’offensive, avaient été étouffées avec une telle unanimité et leurs objections rejetées à l’aide d’arguments si irréfutables quant aux avantages de l’offensive, que l’objet des débats, la bataille proche et, sans aucun doute, la victoire ne semblaient plus être des événements à venir mais des faits déjà acquis. Tous les avantages étaient de notre côté. Des forces immenses, sans conteste supérieures à celles de Napoléon, étaient concentrées sur un point ; les troupes étaient galvanisées par la présence des souverains et brûlaient de se battre ; la position stratégique où l’on devait opérer était connue jusqu’en ses moindres détails […] ; la région connue dans tous ses détails et minutieusement relevée sur les cartes, et Bonaparte, manifestement affaibli, n’entreprenait rien. (p. 424-425, chap. IX)
Weirother opposait à toutes le critiques un sourire assuré et dédaigneux, manifestement préparé d’avance pour répondre à toute objection, quelle qu’elle fût. (p. 443, chap. XII)
Les choses ne peuvent-elles pas se passer autrement ? Est-il possible que pour des considérations personnelles de courtisans on doive risquer des dizaines de milliers de vies […] ? [pensait le prince André] (p. 445, chap. XII)
7/ Si la plupart des officiers d’état-major se caractérisent par leur arrogance et leur incapacité à tenir compte des objections, critiques qui leur sont faites, le prince André n’est pas non plus exempt d’une certaine forme d’orgueil quelque peu similaire aux autres officiers supérieurs rêvant de se distinguer aux yeux du tsar, lui qui désire ardemment se couvrir de gloire, comme la référence régulière à son « Toulon » le montre. Dans des passages qui ne sont pas sans rappeler Achille dans L’Iliade, à la fois épris de gloire et conscient en même temps de la vanité de celle-ci, le prince André préfère dans un premier temps la gloire au combat (y compris la mort), plutôt qu’une vie paisible avec ses proches. Néanmoins, l’expérience de la mort, ou plutôt d’un état de conscience proche de la mort, efface rapidement ces désirs de gloire : ce sont les fameux passages du roman où le prince André, blessé sur le champ de bataille, contemple le ciel et réalise la vanité de ses rêves de gloire militaire, et l’infinie beauté et mystère de la nature et de la vie. Dans ces lignes, une certaine transcendance se dégage du récit, effet que peu d’auteurs ont réussi à capter avec une force similaire à celle de Tolstoï.
Le voici qui se met en tête d’un régiment, d’une division, obtient que personne n’intervienne plus dans ses dispositions, conduit sa division au point critique et remporte tout seul la victoire. Et la mort et les souffrances ? dit une autre voix. Mais le prince André ne répond pas à cette voix et poursuit ses succès. Il établit seul le dispositif de la bataille suivante. Il ne porte pas d’autre titre que celui d’attaché à Koutouzov, mais c’est lui qui fait tout. La bataille suivante est gagnée par lui seul. Koutouzov est relevé de son commandement, c’est lui qu’on nomme… Et ensuite ? dit de nouveau l’autre voix, ensuite, si tu n’as pas été déjà dix fois blessé, tué ou trahi ; et ensuite ? – « Eh bien, ensuite… se répond le prince André, je ne sais pas ce qui se passera ensuite, je ne veux ni ne peux le savoir ; mais si je veux cela, si je veux la gloire, si je veux être connu, aimé des hommes, ce n’est pas ma faute de la vouloir, de ne vouloir que cela, de ne vivre que pour cela. Oui, rien que pour cela ! Je ne le dirai jamais à personne mais, mon Dieu ! qu’y puis-je si je n’aime rien d’autre que la gloire, l’admiration des hommes. La mort, les blessures, la perte de ma famille, rien ne m’effraie. Et si chers que me soient bien des êtres – mon père, ma sœur, ma femme, ceux à qui je tiens le plus –, si terrible et contre nature que cela paraisse, je les sacrifierais tous en ce moment pour un instant de gloire, de triomphe sur ces gens, pour l’amour de ces gens que je ne connais et que je ne connaîtrai jamais, pour l’amour de ces gens-ci », conclut-il. (p. 445-446, chap. XII)
« Qu’est-ce ? je tombe ? mes jambes flageolent », pensa-t-il, et il s’abattit sur le dos. Il ouvrit les yeux espérant voir l’issue de la lutte des Français contre les artilleurs et voulant savoir si l’artilleur roux était ou non tué, si les canons étaient pris ou sauvés. Mais il ne vit rien. Au-dessus de lui, il n’y avait plus que le ciel – un ciel haut, voilé, mais immensément haut, où erraient lentement des nuages gris. « Quel silence, quelle paix et quelle majesté ! Ce n’est pas du tout comme lorsque je courais, pensa le prince André, lorsque nous courions, criions et nous battions ; plus du tout comme lorsque le Français et l’artilleur, furieux et épouvantés, se disputaient l’écouvillon, ce n’est pas du tout ainsi que les nuages passent dans ce haut ciel infini. Comment n’ai-je pas vu ce haut ciel plus tôt ? Et comme je suis heureux de le connaître enfin. Oui, tout est vanité, tout est mensonge, hormis ce ciel infini. Rien, il n’y a rien d’autre que lui. Mais il n’y a même pas cela, il n’y a rien, hormis le silence, l’apaisement. Et Dieu en soit loué… » (p. 471-472, chap. XVI)
La tête lui brûlait ; il sentait qu’il se vidait de son sang et il voyait au-dessus de lui le ciel lointain, haut et éternel. Il savait que c’était Napoléon, son héros, mais en cet instant Napoléon lui paraissait si petit, si piètre, au regard de ce qui se passait entre son âme et ce haut ciel infini parcouru de légers nuages. Il lui était en ce moment absolument indifférent de savoir qui se tenait au-dessus de lui, ce qu’on disait ; il était seulement content que des gens se fussent arrêtés auprès de lui et son seul désir était qu’ils le secourussent et le rendissent à la vie qui lui paraissait si belle, car il la comprenait tout autrement maintenant. (p. 487-488, chap. XIX)
Quoique cinq minutes plus tôt, le prince André eût dit quelques mots aux soldats qui le transportaient, il se taisait maintenant, les yeux fixés droit sur Napoléon… Les intérêts qui occupaient Napoléon, au regard de ce ciel juste et bon qu’il avait vu et compris, lui paraissaient en ce moment si insignifiants, son héros lui-même si petit, avec cette vanité mesquine et cette joie de la victoire, qu’il ne put lui répondre. Tout, aussi bien, paraissait si inutile et si vain au regard de la démarche austère et pleine de grandeur de sa pensée, déterminée par l’épuisement de ses forces à la suite de la perte de sang, de la souffrance et de l’attente d’une mort proche. Regardant Napoléon dans les yeux, le prince André songeait à la vanité de la grandeur, à la vanité de la vie dont personne ne pouvait comprendre le sens, et à la vanité encore plus grande de la mort dont nul vivant n’était capable de pénétrer et expliquer la signification. (p. 489-490, chap. XIX)
8/ De même que le prince André, Nicolas
Rostov rêve aussi d’accomplir des prouesses qui le distingueraient aux yeux du
tsar, tout comme les autres soldats ordinaires. Tolstoï utilise d’ailleurs une
comparaison surprenante pour décrire l’attachement de ses troupes à leur tsar,
similaire à celui d’un amant empressé, un amour si fort, aveugle qu’il les
pousse même à désirer mourir sous ses yeux. L’enthousiasme pour la guerre, pour la
personne du tsar, est décrit comme une sorte de fanatisme fiévreux et
collectif, que l'on peut rapprocher notamment de la description que fait Stefan Zweig, dans Le Monde d'hier, de l'enthousiasme qui saisit ses compatriotes durant les premiers jours de la Première Guerre Mondiale.
On eût dit que ce n’étaient pas les trompettes qui sonnaient mais que l’armée elle-même, heureuse de l’approche de l’empereur, émettait spontanément ces sons. À travers ces bruits, on entendit distinctement une voix jeune, bienveillante, celle de l’empereur Alexandre. Il adressa le salut aux troupes et le premier régiment rugit : « Hourra ! » d’une façon si assourdissante, si joyeuse, si prolongée, que les hommes eux-mêmes s’effrayèrent du nombre et de la puissance qu’ils formaient. Rostov, aux premiers rangs de l’armée Koutouzov vers laquelle l’empereur se porta tout d’abord, éprouvait le même sentiment que chaque homme de cette armée, un sentiment d’oubli de soi-même, de fière conscience de sa force et d’élan passionné vers celui qui était la cause de cette solennité. Il sentait que sur un seul mot de cet homme, toute cette masse vivante (et lui-même qui, lié à elle, était un infime grain de sable) se jetterait dans le feu et à l’eau, irait à la mort, au crime ou au plus grand héroïsme, et c’est pour cela qu’il ne pouvait pas ne pas frémir et défaillir à la vue de celui qui approchait. « Hourra ! Hourra ! Hourra ! » tonnait-on de tous côtés, et un régiment après l’autre accueillait l’empereur par les accents de la générale, puis par des « Hourra !... » auxquels succédaient de nouveau la générale et encore et encore des « Hourra ! » qui, s’amplifiant toujours, se fondaient en un seul grondement assourdissant. (p. 416-417, chap. VIII)
« Nous mourrons tous, nous mourrons tous avec joie pour lui. N’est-ce pas, messieurs ? Je m’exprime peut-être mal, j’ai beaucoup bu ; mais c’est ce que je sens, et vous aussi. À la santé d’Alexandre Ier ! Hourra !
- Hourra ! » répétèrent les voix enthousiastes des officiers. (p. 433, chap. X)
Il [Nicolas Rostov] était en effet amoureux du tsar, et de la gloire des armées russes, et de l’espoir d’un triomphe prochain. Et il n’était pas le seul à éprouver ces sentiments en ces journées mémorables qui précédèrent la bataille d’Austerlitz : les neuf dixièmes de l’armée russe étaient alors, quoique avec moins d’exaltation, amoureux et de leur tsar et de la gloire des armes russes. (p. 434, chap. X)
9/ À travers le prince André et Nicolas, dans les points 7 et 8 ci-dessus, c’est à une dénonciation de la fausseté et de la vanité de l’héroïsme guerrier, et donc de la guerre, que se livre Tolstoï : tous les soldats ont plus ou moins le désir de se distinguer, de se couvrir de gloire sur le champ de bataille, et oubliant surtout l’aspect horrible de la guerre. Nicolas Rostov ment inconsciemment sur ses « exploits » guerriers de la partie précédente, racontant davantage ce qui est attendu de lui plutôt que la réalité du combat, au cours duquel il ne s’est guère distingué, mais a néanmoins été décoré ; cette décoration influence de manière décisive, comme nous le verrons plus tard dans le roman, l’imagination de son jeune frère Petia, lui aussi impatient d’aller se distinguer à la guerre. Tolstoï, loin de verser dans ces élans lyriques guerriers idéalisés, va à l’inverse montrer la réalité crue de la guerre et les morts innombrables qu’elle cause, avec la simplicité qui le caractérise : dans une scène marquante, le tsar, magnifiquement vêtu et inspirant par son apparence l’ardeur guerrière de ses sujets, rencontre un soldat blessé, mutilé. Le contraste saisissant entre les deux personnes dit là encore, mieux qu’un énième sermon contre la guerre, le contraste entre l’image fausse, idéalisée que l’on se fait d’elle et la réalité atroce qu’elle est. Néanmoins, cela ne veut pas dire que Tolstoï nie totalement l’existence de tout héroïsme guerrier : dans la confusion de la bataille, il rend un bref hommage à une charge héroïque, quoique désespérée, de chevaliers-gardes tentant de reprendre une batterie tombée dans les mains des Français, charge qui ne laissera que très peu de survivants. Tolstoï refuse de manière intéressante d’en conter le détail, comme pour refuser de la glorifier aux yeux de son lecteur : Nicolas qui voit un de ces héroïques soldats n’en comprend pas l'action ni la portée de cette dernière, dans la confusion et le chaos de la bataille, et Tolstoï ensuite se contente laconiquement de dire le nombre de survivants, donnant implicitement une idée du massacre qui eut lieu. (p. 474-475, chap. XVII)
[Nicolas] leur raconta l’affaire de Schoengraben exactement comme le font d’ordinaire ceux qui ont pris part à une bataille, c’est-à-dire comme ils auraient voulu qu’elle se fût déroulée, comme ils l’ont entendu raconter par d’autres comme il le faut pour enjoliver leur récit, mais nullement comme les choses s’étaient passées en réalité. Rostov était un jeune homme sincère, il n’aurait pour rien au monde menti sciemment. Il commença avec l’intention de faire un récit absolument véridique de tout ce qui s’était passé, mais malgré lui, imperceptiblement et inévitablement, il se laissa entraîner par son imagination. S’il eût raconté la vérité à ces auditeurs qui, comme lui, avaient mille fois entendu décrire une attaque, qui s’étaient formé une idée bien nette de ce qu’était une attaque et qui attendaient de lui exactement le même récit, ils ne l’auraient pas cru ou (ce qui eût été pire encore) ils auraient pensé que c’était sa faute s’il ne lui était pas advenu ce qui arrive d’habitude à ceux qui décrivent une charge de cavalerie. Il ne pouvait leur dire tout simplement qu’ils étaient tous partis au trot, qu’il était tombé de cheval, s’était démis le bras et s’était enfui à toutes jambes dans la forêt pour échapper aux Français. En outre, pour tout raconter comme cela s’était passé, il fallait faire un effort sur soi-même pour ne raconter uniquement que ce qui s’était passé. Raconter la vérité est très difficile ; et les jeunes gens en sont rarement capables. Boris et Berg attendaient qu’il leur racontât que, tout bouillant d’ardeur, ne se connaissant plus, il avait foncé comme un ouragan sur un carré ; qu’il s’y était frayé un passage en pourfendant à droite comme à gauche ; que son sabre avait fait connaissance avec la chair humaine, qu’il était tombé d’épuisement, et ainsi de suite. Et il leur raconta tout cela. (p. 411-412, chap. VII)
On voit bien que, vous autres femmes, vous êtes toutes des pleurnicheuses, dit Petia qui se promenait dans la chambre à grands pas résolus. Pour ma part, je suis très content, vraiment très content que mon frère se soit distingué ainsi. Vous êtes toujours à pleurnicher ! Vous ne comprenez rien. […] Si j’étais à la place de Nicolas, je tuerais encore bien plus de ces Français, dit-il, tant ils sont abominables ! J’en massacrerais tellement qu’on en ferait un tas. […] Ce n’est pas moi qui suis un imbécile, ce sont celles qui pleurent pour des bêtises qui sont des sottes. (p. 399-400, chap. VI)
L’empereur, entouré de sa suite de militaires et de civils, montait cette fois une autre jument qu’à la revue, une alezane demi-sang, et penché sur le côté, tenant d’un geste plein de grâce un lorgnon en or, regardait un soldat qui, ensanglanté, sans shako, si grossier et si laid que sa présence près de l’empereur choqua Rostov. Il vit les épaules légèrement voûtées de l’empereur frémir comme parcourues d’un souffle glacé, son pied gauche donner convulsivement de l’éperon à son cheval et le cheval bien dressé regarder autour de lui avec indifférence sans bouger d’un pas. Un aide de camp qui avait mis pied à terre prit le soldat sous les bras et se mit en devoir de l’étendre sur une civière qu’on venait d’apporter. Le soldat gémit. « Doucement, doucement, ne peut-on pas s’y prendre plus doucement ? » dit l’empereur qui souffrait visiblement plus que le soldat mourant, et il alla plus loin. Rostov vit des larmes remplir ses yeux et l’entendit en partant dire en français à Czartoryski : « Quelle terrible chose que la guerre, quelle terrible chose ! » (p. 432, chap. X)
Il [Nicolas] mit son cheval au trot pour ne plus voir tous ces hommes qui souffraient et il eut peur. Il ne craignait pas pour sa vie, mais pour le courage qui lui était nécessaire et qui, il le savait, ne résisterait pas à la vue de ces malheureux. (p. 480, chap. XVIII)
10/ Notons l’intéressante manière dont Tolstoï décrit les masses d’hommes comme entraînées par un déterminisme, un destin inéluctables dans la marche de la guerre qui les entraîne. Tolstoï dans un passage assimile le mécanisme de la guerre et de sa mise en marche à celui d’une gigantesque horloge, de ses roues intérieures au mouvement des aiguilles.
Du général à l’homme de troupe, chacun sentait son insignifiance, conscient de n’être qu’un grain de sable dans cette mer humaine, et même temps connaissant sa puissance en tant que partie de cet immense ensemble. (p. 415, chap. VIII)
Le mouvement concentré qui était parti, le matin, du grand quartier des empereurs et avait donné l’impulsion générale ressemblait au premier mouvement de la roue motrice d’une gigantesque horloge. Lentement, l’une des roues s’ébranle, puis une autre, puis une troisième, et toujours plus vite les engrenages, les poulies, les pignons se mettent à tourner, la sonnerie joue, les figurines défilent, et les aiguilles avancent régulièrement, marquant le résultat du mouvement. De même que le mécanisme d’une horloge, la machine militaire, le mouvement une fois donné, va irrésistiblement jusqu’au bout et chacune des parties du mécanisme dont le tour n’est pas encore venu reste également immobile jusqu’à la transmission du mouvement. Les roues grincent sur leurs axes en engrenant leurs dents, la rotation fait gémir les poulies, mais la roue voisine reste aussi inerte et aussi immobile que si elle était prête à demeurer dans cette immobilité des centaines d’années ; mais vient le moment, une palette l’a accrochée et, obéissant au mouvement général, elle grince en tournant et se fond dans une action unique dont le résultat et le but lui sont incompréhensibles. Comme dans l’horloge, où le mouvement complexe des innombrables rouages n’a pour résultat que le déplacement lent et régulier de l’aiguille qui marque l’heure, de même tous les complexes mouvements humains de ces cent soixante mille hommes, Russes et Français – de toutes les passions, de tous les désirs, des regrets, des humiliations, des souffrances, des plans d’orgueil, de la peur, de l’enthousiasme de ces hommes –, n’eurent pour résultat que la perte de la bataille d’Austerlitz, dite bataille des trois empereurs, c’est-à-dire le lent déplacement de l’aiguille de l’histoire sur le cadran de l’histoire de l’humanité. (p. 435-436, chap. XI)
Weirother, qui était le véritable inspirateur de la bataille projetée, présentait par son animation et son agitation un contraste tranché avec Koutouzov, mécontent et ensommeillé, qui assurait à contrecœur le rôle de président de séance. Weirother se sentait visiblement à la tête d’un mouvement devenu irrésistible. Il était comme un cheval attelé à un chariot qui dévale une côte. Était-ce lui qui conduisait, ou le poussait-on, il l’ignorait ; il fonçait à toute allure, sans avoir le loisir d’envisager les conséquences possibles de ce mouvement. (p. 439, chap. XII)
Le soldat en marche est tout aussi encadré, enserré et entraîné par son régiment que l’est le marin par son navire. Si loin qu’il aille, sous quelque étrange latitude dangereuse et inconnue qu’il pénètre, il a toujours et partout autour de lui – comme le marin a toujours et partout autour de lui les mêmes points, les mêmes mâts, les mêmes cordages – les mêmes camarades, les mêmes rangs […], les mêmes chefs. Le soldat tient rarement à savoir sous quelle latitude navigue son bateau ; mais le jour de la bataille, une note grave, la même pour tous, venue Dieu sait comment et d’où, retentit dans la conscience d’une armée, sonnant l’approche de quelque chose de décisif et de solennel et éveillant en chacun une curiosité inusitée. (p. 455, chap. XIV)
Après une heure de marche toujours dans le même brouillard épais, la plupart des troupes durent s’arrêter, et une pénible impression de désordre et de désarroi gagna les rangs. Comment cette impression se communique, il est bien difficile de le dire ; mais ce qui est hors de doute, c’est qu’elle se communique avec une sûreté extraordinaire et se répand rapidement, insensiblement et irrésistiblement, comme l’eau dans un bas-fond. (p. 456, chap. XIV)
Tout se couvrit de fumée, une fusillade toute proche éclata, et une voix pleine de terreur naïve cria à deux pas du prince André : « Allons, les gars, nous sommes fichus ! » Et cette voix fut comme un ordre. En l’entendant tout se mit à courir. Des foules mélangées toujours grossissantes refluaient en courant vers l’endroit où, cinq minutes plus tôt, les troupes avaient défilé devant les empereurs. Il était non seulement impossible de ne pas se laisser emporter par elle […]. Les soldats fuyaient en une masse si compacte qu’une fois pris au milieu de cette foule, on avait peine à s’en dégager. (p. 468-469, chap. XVI)
11/ Pour terminer, un rapprochement avec Tchekhov, sous les traits d’un diplomate et d’un vieux général, qui, en voyant la beauté d’Hélène lors de la soirée où Pierre la demande en mariage, sont saisis de mélancolie, de tristesse et de colère face à leur vie, ce qui n’est pas sans rappeler la nouvelle Beautés (voir la note sur cette nouvelle ici) :
« Quelles sottises que tout ce que je raconte, comme si cela m’intéressait, pensait un diplomate en regardant le visage heureux des amoureux, voilà le bonheur. » (p. 366, chap. II)
Le diplomate se taisait tristement en quittant le salon. Toute la vanité de sa carrière diplomatique lui apparaissait en comparaison du bonheur de Pierre. Le vieux général répondit avec humeur à sa femme lorsqu’elle s’enquit de l’état de sa jambe. « La vieille sotte, se dit-il. Hélène Vassilievna, elle, sera belle même à cinquante ans. » (p. 368, chap. II)
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